POUR LEUR HÉRITAGE
Avec une population vieillissante et plus riche, les conflits de famille devraient augmenter au fil des ans
Comptes de banque dilapidés, biens volés et poursuites judiciaires, les couteaux volent déjà très bas pour partager des héritages. Avec les Québécois qui meurent de plus en plus riches, des experts prédisent que le problème ne fera que s’aggraver.
« Les chicanes de succession, c’est une comédie humaine dont vous ne suspectez pas la violence. C’est pire que les divorces ou les chicanes de voisins », dit le notaire Michel Beauchamp, spécialiste en droit successoral.
Depuis 10 ans, les Canadiens se sont partagés environ 500 milliards $ d’héritage, estime une étude de la Banque CIBC. Dans les 10 prochaines années, ce chiffre devrait passer à pas moins de 750 milliards $, selon l’institution financière.
Le Journal a lu 72 décisions rendues par les tribunaux du Québec depuis le début de 2016 à propos d’héritages, dont plusieurs déchirantes.
EN HAUSSE
« Avant, tu avais une famille nucléaire, alors qu’aujourd’hui tu as un homme qui lègue une partie de ses biens à sa quatrième femme, que ses enfants détestaient », poursuit Me Beauchamp, à qui ses collègues notaires découragés confient les chicanes les plus explosives depuis 30 ans.
« Il va y en avoir de plus en plus en cour, ajoute Suzanne Hotte, notaire au cabinet montréalais Hotte et Associés. Avec la population vieillissante, le nombre de décès va augmenter. En plus, cette population est plus riche que les précédentes générations. »
Cela dit, les héritiers peuvent quand même se crêper le chignon pour des objets sans valeur financière. Selon Michel Beauchamp, ce sont les bijoux avec une valeur sentimentale qui suscitent le plus de chicanes.
« J’ai vu un cas où le bijoutier a offert 20 $ pour deux coffres à bijoux, mais rien pour la pacotille à l’intérieur. Imaginez-vous que ça a pris deux ans à séparer les bijoux parce que la cousine, qu’une des filles de la défunte détestait, voulait en avoir certains. »
LE TIERS FINIT MAL
Les deux experts estiment qu’environ 30 % des successions génèrent de solides chicanes. Parmi elles, les conflits qui se rendent en cour ne sont que la pointe de l’iceberg ; la plupart des familles préférant se lancer des couteaux en privé.
Un peu comme pour un divorce ou une chicane entre deux voisins, le règlement d’un héritage, « c’est 80 % émotif et 20 % juridique. Sauf que pour la succession, vous êtes souvent six, pas deux », dit Michel Beauchamp.
Bien souvent, l’endeuillé qui entre dans le bureau du notaire n’aime pas la chicane, mais il avait cependant une crotte sur le coeur à propos d’un don de son père de 10 000 $ fait à sa soeur il y a 35 ans.
« Il ne voulait pas faire de peine à son père, et ça a rapidement dégénéré quand le père est mort », résume le notaire.
Et ils dépensent souvent des fortunes pour qu’on leur donne raison. Chaque année, il voit au moins un cas passer dans son bureau où un membre de la famille et la succession dépensent au total plus de 200 000 $ de frais d’avocats. De l’argent souvent pigé à même l’héritage.