L’habitat du caribou assiégé
Des compagnies forestières accusées d’avoir violé leur propre moratoire dans la forêt boréale
Des compagnies forestières auraient violé leur propre moratoire de coupe dans l’habitat du caribou forestier dans le Nord-du-québec et au Saguenay, d’après des images satellites compilées par des avocats américains.
« Nous sommes incroyablement surpris par ce que nous avons vu. L’étendue des coupes et la courte période sur laquelle elles ont été faites sont très surprenantes », indique Anthony Swift, du Conseil de défense des ressources naturelles (NRDC), une organisation américaine d’avocats en environnement qui a effectué l’analyse satellitaire depuis Washington.
Joint en Norvège, où il participait à un forum sur la protection de la forêt boréale, M. Swift prévient qu’on « est en train de perdre un secteur critique pour le caribou ».
Sur le terrain, Richard Desjardins confirme. « Du beau bois, il n’y en a plus, lance le chanteur cofondateur de l’action boréale. Il est bien certain que le volume de bois qui sort dépasse ce que la nature peut donner. »
ENTENTE BORÉALE
Prises de l’espace de 2010 à 2016, les images montrent l’abattage continu de larges portions de forêt au Saguenay–lac-Saint-jean et au sud de la vallée de la Broadback, dans le Nord-du-québec.
Dans ces deux secteurs, les plus importantes entreprises forestières du pays se sont engagées à suspendre leurs activités en signant l’entente sur la forêt boréale canadienne en 2010. Ce moratoire stipulait qu’aucun chemin ne devait être construit et qu’aucun arbre ne devait être prélevé de 2010 à 2012.
Un des objectifs était de laisser intact un habitat essentiel à la survie des caribous, en attendant la création d’un réseau d’aires protégées.
« Les cartes parlent d’elles-mêmes », dit M. Swift. Selon lui, elles sont la preuve de l’échec de l’entente boréale. Elles démontrent que les entreprises sont incapables de réguler elles-mêmes leurs activités pour protéger la biodiversité.
Mais pour Richard Desjardins, il n’y avait rien à attendre de l’entente boréale, qui n’était rien d’autre qu’une « opération de communication », dit-il. Pour lui, les entreprises ne cherchaient qu’à « acheter le silence » des écologistes qui menaient alors une campagne de boycottage de la fibre d’ici.
« C’est quand même bizarre que d’énormes territoires publics comme ça soient négociés en privé par des compagnies et des environnementalistes », dénonce le réalisateur du documentaire L’erreur boréale. Pacte entre écologistes et entreprises privées, l’entente n’incluait en effet ni l’état ni la société civile.
LA FAUTE AUX AUTRES
Du côté de la Société pour la nature et les parcs (SNAP), qui était signataire de l’entente, le biologiste Pier-olivier Boudreault estime que l’accord a été un échec au Québec.
Toutefois, selon lui, les cartes du NRDC ne permettent pas de conclure qu’elle a été violée. « Dans la zone qui a été sous moratoire, il y avait des garanties d’approvisionnement de bois qui étaient attribuées à des compagnies non-signataires de l’entente », explique-t-il.
Richard Walker, porte-parole de l’association des produits forestiers du Canada (APFC), indique justement que les cartes d’attribution de volume de bois montrent la présence, dans le secteur étudié par le NRDC, d’entreprises non-signataires de l’accord, dont Produits forestiers Petit-paris inc.
FEUX, MALADIES ET INSECTES
La moitié de cette entreprise appartenait toutefois à un important signataire de l’entente boréale, Produits forestiers Résolu. Les deux sociétés se sont dissociées en 2016, après 27 ans de partenariat.
Si M. Swift est convaincu que la perte de larges pans de forêt est attribuable à l’activité humaine, l’industrie s’est souvent défendue en rejetant la responsabilité sur les feux de forêt, les maladies ou les insectes comme la tordeuse des bourgeons de l’épinette.