Le Journal de Quebec

Des trafiquant­s d’armes piégés par une taupe

Deux Montréalai­s risquent jusqu’à 85 ans de prison aux États-unis pour avoir tenté d’armer des criminels

- Eric Thibault l Ethibaultj­dm eric.thibault @quebecorme­dia.com 514.599.5888 8037

Deux Montréalai­s qui prétendaie­nt armer des criminels aux quatre coins de la planète se retrouvent dans la mire de la justice américaine pour avoir commandé un arsenal de guérilla à un agent double.

Guy Deland, 58 ans, et Charan Singh, 47 ans, sont visés par des procédures d’extraditio­n afin qu’ils puissent subir leur procès à Buffalo, dans l’état de New York, relativeme­nt à plusieurs accusation­s liées au trafic d’armes.

Ils y sont passibles de peines maximales de 85 ans d’incarcérat­ion advenant leur culpabilit­é, selon des documents judiciaire­s que Le Journal a obtenus dans cette affaire digne d’un roman d’espionnage.

Arrêtés à la fin juin, les deux Québécois — et leur patron allégué, Aydan Sin, un Canadien d’origine asiatique qui habite en Colombie-britanniqu­e — ont été piégés dans une enquête du départemen­t américain de Sécurité intérieure, le Homeland Security, avec l’aide de la Gendarmeri­e royale du Canada, de novembre 2016 à avril 2017.

En outre, le trio aurait commandé 160 pistolets Glock, 15 pistolets-mitrailleu­rs mini Uzi dotés de silencieux, ainsi que des munitions à un soi-disant marchand d’armes de l’état de New York.

La marchandis­e devait ensuite être acheminée de façon clandestin­e à des clients de Sin situés à Dubaï, en Colombie et à Vancouver.

Ce n’est qu’après leur arrestatio­n que les présumés trafiquant­s ont appris que leur contact américain, à qui ils ont versé une avance de 70 000 $ US, était un agent double du Homeland Security.

COMMANDES DE 1 M$

Charan Singh, un camionneur né en Malaisie et habitant à L’île-perrot avec sa femme et leurs trois enfants, aurait amorcé les contacts avec la « taupe », selon les procureurs du U.S. Attorney.

Le 22 novembre dernier, l’agent double aurait reçu un courriel du Québécois, qui disait s’appeler « Charlie » et qui « cherchait à acquérir des armes de poing de marque Glock et Beretta pour les expédier à Dubaï, aux Émirats arabes unis », selon la preuve au dossier.

« D’après lui, après la livraison à Dubaï, d’autres commandes bien plus imposantes allaient suivre. Des commandes d’une valeur allant jusqu’à un million de dollars, incluant des pistolets, des mitraillet­tes et des grenades. »

SOUS L’OEIL DES POLICIERS

Quelques jours plus tard, Singh aurait proposé à l’agent double de lui présenter « son partenaire », qu’il appelait « Andy from B.C. ».

Le 8 décembre suivant, des policiers de la GRC mis dans le coup par leurs collègues américains ont surveillé Singh dans un Tim Hortons, à Montréal, en compagnie de Guy Deland, un résident du secteur Pierrefond­s, et de leur présumé boss, Aydan « Andy » Sin. Durant leur rencontre, le trio envoyait des courriels à l’agent double pour préparer la transactio­n.

L’agent double a proposé de leur vendre 40 pistolets Glock 26 [l’un des modèles utilisés comme arme de service par les policiers de la Sûreté du Québec, entre autres], 15 pistolets-mitrailleu­rs mini Uzi et 15 silencieux pour les Uzi à un prix de 96 243 $ US, incluant les taxes de vente applicable­s. Il leur a fait parvenir les formulaire­s de demande de permis des autorités américaine­s pour procéder légalement à l’exportatio­n des armes.

Sin a appelé l’agent double le jour même et lui a demandé quel montant supplément­aire il lui demanderai­t pour pouvoir « faire la transactio­n autrement ».

« LA MAUVAISE MANIÈRE »

— Il y a une bonne et une mauvaise manière de procéder, a déclaré celui qui jouait le rôle de l’armurier.

— Faisons-le de la mauvaise manière, aurait répondu le présumé trafiquant.

Le 14 décembre, le supposé marchand d’armes avait rendez-vous avec « Andy » Sin à l’hôtel Sheraton, au centre-ville de Montréal. Des policiers de la GRC vêtus en civil étaient sur place pour observer la rencontre.

Mais Sin a prévenu l’agent double par texto qu’il était « pris dans le trafic » et qu’il serait en retard. Puis, arrivé près de l’hôtel, le patron est resté au volant de son véhicule de location et a envoyé son « associé » Guy Deland parler avec l’américain.

Deland lui a dit que « ses hommes » tenaient à rester sous le radar des autorités. Le Montréalai­s lui a promis « un gros sac de cash », soit plus de 25 000 $, en guise de compensati­on pour le risque qu’il devrait prendre, selon les documents de cour.

COMME LE CRIME ORGANISÉ

Deland a demandé à l’agent double de s’assurer que les numéros de série gravés sur les armes soient effacés afin d’éviter que leur provenance puisse être retracée, comme le font généraleme­nt les tueurs du crime organisé.

Durant l’hiver, le fournisseu­r d’armes a reçu par la poste un téléphone de type Blackberry doté d’un logiciel pour envoyer et recevoir des messages textes cryptés, afin que leurs écrits ne puissent être intercepté­s par les policiers.

L’utilisatio­n de communicat­ions cryptées est maintenant répandue chez les organisati­ons criminelle­s, dont au Québec, où des enquêtes policières récentes ont démontré que les Hells Angels, la mafia italienne et les gangs de rue se servent de cette technologi­e.

En cas de pépin, le contenu de l’appareil fourni à l’agent double américain pouvait aussi être complèteme­nt effacé, soit par lui, soit à distance par un membre du réseau de Sin, simplement en tapant un « mot de passe de détresse ».

« PARTOUT DANS LE MONDE »

En janvier 2017, l’agent d’infiltrati­on fut avisé d’expédier une partie des armes à Dubaï et le reste à Carthagène des Indes, en Colombie. Il a fait croire aux Canadiens que la marchandis­e était dissimulée à bord de deux cargos qui avaient quitté le port de Newark, au New Jersey.

Avant même que les bateaux arrivent à destinatio­n, Sin et Deland — tous deux déjà condamnés à des peines d’emprisonne­ment aux États-unis dans le passé et qui n’auraient pas d’emploi légitime connu au Canada, selon les autorités américaine­s — se sont informés auprès de l’agent double de la possibilit­é de leur procurer 120 pistolets Glock additionne­ls, de trois modèles différents, pour des clients à Vancouver.

« Ils parlent aussi d’éventuelle­s livraisons pour les Pays-bas et l’australie. Sin mentionne qu’il avait des commandes de partout dans le monde : les Émirats arabes unis, le Canada, la Colombie, le Panama, le Japon, l’australie, les Pays-bas, le Ghana et le Mexique », allègue la poursuite dans sa preuve.

LES SOUPÇONS DU PATRON

À la fin de mars, l’agent double a toutefois commis une erreur. Voulant amasser des éléments de preuve supplément­aires pour incriminer Sin, il a tenté de fixer un rendez-vous avec lui à Vancouver.

« Sin s’est mis à agir comme s’il soupçonnai­t l’agent double de travailler pour la police », soutient la poursuite.

Le 27 mars, Deland a avisé l’agent d’annuler la livraison d’armes en Colombie. « Il s’est déjà fait avoir par un “rat” avant. Mais moi je sais que t’es pas un flic. Les choses vont s’arranger », aurait ajouté Deland lors de leur dernière conversati­on.

Une semaine plus tard, l’agent double s’est aperçu que le contact préenregis­tré sur son Blackberry pour rejoindre Aydan Sin avait disparu. Et tous les messages textes cryptés qu’il avait échangés avec les Canadiens avaient été effacés à distance.

CAUTION DE 1 M$

Le Homeland Security croit néanmoins détenir suffisamme­nt de preuves pour faire condamner les deux Québécois et leur patron.

Un tribunal de la Colombie-britanniqu­e a remis Aydan Sin en liberté provisoire, le mois dernier, moyennant une caution d’un million de dollars.

Guy Deland et Charan Singh ont aussi été libérés provisoire­ment en échange de cautions beaucoup moins importante­s, à la fin juillet, après avoir passé un mois à la prison de Rivière-des-prairies. Tous deux doivent revenir au palais de justice de Montréal vendredi pour la suite des procédures.

« IL S’EST DÉJÀ FAIT AVOIR PAR UN “‘RAT”’ AVANT. MAIS MOI JE SAIS QUE T’ES PAS UN FLIC. LES CHOSES VONT S’ARRANGER » – Guy Deland, s’adressant à l’agent double, selon la preuve

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1. Sur Facebook, Charan Singh s’identifie sous le nom d’emprunt Charlie Dhaliwal, d’après le Homeland Security américain. 2. Guy Deland a déjà purgé trois ans de prison en Californie pour sa participat­ion à un réseau de télémarket­ing...
PHOTOS COURTOISIE 2 GUY DELAND 1. Sur Facebook, Charan Singh s’identifie sous le nom d’emprunt Charlie Dhaliwal, d’après le Homeland Security américain. 2. Guy Deland a déjà purgé trois ans de prison en Californie pour sa participat­ion à un réseau de télémarket­ing...
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UZI MINI GLOCK 27 GLOCK 26 Le 14 décembre dernier, l’agent double américain est venu rencontrer le Québécois Guy Deland à l’hôtel Sheraton du centre-ville de Montréal, sur le boulevard René-lévesque, pour finaliser la vente de 40 pistolets de modèle...

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