Denise Bombardier
Mais pourquoi se sent-on obligés de marquer l’anniversaire de ce rêve collectif porté par Camille Laurin ?
L’ennemi n’est plus celui qu’on croit.
Les jugements de cour ont, pendant les quarante dernières années, affaibli cette loi dont on a espéré qu’elle serait un rempart contre l’anglicisation. Or l’ennemi n’est plus celui qu’on croit. Mis à part une bande d’opposants irréductibles, ce sont les Québécois francophones obsédés d’être au goût du jour ou craintifs d’être taxés de nationaleux qui expriment une forme de dédain à l’endroit de ce combat à moitié perdu.
La langue officielle du Québec est-elle défendable si ceux qui la parlent ne respectent pas ses règles, et pis encore, revendiquent un droit à l’ignorance de celles-ci ? D’autres, les cosmopolites linguistiques, qui parlent un anglais plus ou moins acceptable, aiment réduire la langue à un simple moyen de communication, la dépouillant ainsi de son âme.
RELÂCHEMENT
Certes, la langue n’est pas une religion et elle s’accommode mal de ceux qui s’affichent comme des fondamentalistes. Mais la langue française du Québec en dehors de son cadre officiel n’a pas fait les progrès que l’on pouvait en espérer depuis le brûlot génial et courageux de Jean-paul Desbiens, Les insolences du Frère Untel, livre publié en 1960 et vendu à plus de cent mille exemplaires à l’époque.
Nous parlons encore joual, mais son évolution comprend de nouveaux ajouts, dont des mots anglais à la mode ou de gros mots anglo-saxons, le résultat en étant un mélange désarçonnant. On parle comme on tweete et vice-versa. Même les universitaires, les journalistes et les artistes, défenseurs officiels et traditionnels de la loi 101, se sont relâchés au fil des ans. La détérioration de la langue parlée et écrite s’est vécue dans une espèce de démocratisation pervertie.
Parler comme tout le monde ou bien écrire comme tout le monde s’affiche fièrement comme si on portait une décoration populiste à la boutonnière.
DÉTÉRIORATION
On connaît les arguments de l’heure sur la détérioration de la langue parlée ou écrite un peu partout en Occident, que ce soit en France ou aux États-unis. À cet égard, la langue parlée du président Trump en est l’expression la plus relâchée et régressive. Le système d’éducation, en rupture avec la culture humaniste qui prévalait autrefois, est décalqué désormais sur les technologies et une conception avant tout utilitaire de l’éducation. Les préoccupations syntaxiques, indissociables de la qualité de la langue, n’ont plus la primauté. Qui veut passer des heures à faire des dictées, à rédiger des textes le moindrement soutenus et à parler dans une langue dont on ignore les contraintes, les pièges et les exceptions ?
Tant de Québécois baragouinent le français sans s’en formaliser. D’autres estiment toujours que défendre la langue est une diversion et que c’est l’économie qui commande.
Cet argument nous désole. La langue est le vecteur de notre identité depuis plus de trois siècles. Nous ne pouvons l’appauvrir sans y perdre collectivement. L’indifférence ou l’agacement à son endroit devraient nous attrister.