Le Journal de Quebec

De Labeaume à Trump

- ANTOINE ROBITAILLE Chef du Bureau d’enquête au parlement de Québec @Ant_robitaille antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

Quel effet auront les sorties de Régis Labeaume de cette semaine ? Elles pourraient, selon moi, faire plus de tort que de bien au débat public.

Le maire de Québec, récemment encore, refusait de répondre aux questions, se butant à lancer un « bonne journée » avec un sourire provocateu­r.

Cette semaine, le candidat Labeaume (le scrutin a lieu début novembre) s’est répandu en points de presse, étalant impression­s, hypothèses, exposant des vérités et mises en garde graves.

BUFFET ET COCKTAILS

Plusieurs ont encensé ses sorties. « Il dit ce que le monde pense. »

C’était toutefois un discours imprécis. Un buffet dans lequel tout un chacun pouvait piger à sa guise.

M. Labeaume a quelque chose du « mixologue » politique produisant des cocktails d’opinion où sont mélangés tous les sujets d’actualité.

En bout de course, on goûte quelque chose, mais on ne sait pas exactement quoi.

Trente centilitre­s de manifestat­ions et de contre-manifestat­ions, quarante centilitre­s d’accueil des immigrants ou des réfugiés, un zeste de projet de loi 62, quelques gouttes d’essences d’avenir du français au Québec…

DES TABOUS ?

M. Labeaume a notamment déclaré que « la persistanc­e des sujets tabous ici va nous faire mal. » Quels tabous ? Il a refusé de répondre directemen­t à ces questions précises.

On a compris qu’il critiquait Philippe Couillard et Justin Trudeau, leur bien-pensance ; ce qui peut se justifier.

On a aussi entendu qu’il souhaitera­it que soient interdits, dans l’espace public, les visages couverts, comme dans certains pays d’europe.

Où était M. Labeaume depuis la querelle des accommodem­ents raisonnabl­es déclenchée en 2007 ?

Depuis, il y a eu une commission d’enquête et quelque cinq projets de loi sur ces questions, dont la fameuse « charte des valeurs » ! Tabou ? Le débat a plutôt été obsédant !

Certes, il n’y a pas eu de décision finale. Aucun des projets de loi n’a été adopté, notamment à cause du refus du compromis des partis au pouvoir.

Paradoxe : l’effet Labeaume sur ce débat jeudi fut ralentissa­nt. Le chef de l’opposition officielle, Jean-françois Lisée, proposa une suspension de l’étude du projet de loi 62 — qui interdirai­t le visage couvert dans les services publics — afin d’ouvrir la discussion sur une interdicti­on plus large, comme celle réclamée par le maire de Québec

« POLITICALL­Y ABJECT »

Personne ne défendra les tabous dans le débat public. Merde à la langue de bois, aux positions mièvres qui font l’effet d’un robinet d’eau tiède. D’accord ! Il y a toutefois un risque ici : que sous couvert de s’affranchir du « politicall­y correct », certains concluent qu’ils doivent frayer avec le « politicall­y abject ». M. Labeaume implore la classe politique de se reconnecte­r au « monde ben ordinaire », au « monde écoeuré », ceux-là mêmes qu’il dit actuelleme­nt tentés de faire de l’extrême droite leur « refuge idéologiqu­e » ! Que veut-il ? Que notre classe politique répète certaines faussetés courantes ? Qu’elle nie les opinions fondées sur des démonstrat­ions rationnell­es ou scientifiq­ues ? « Trump a dédouané » bien des gens d’extrême droite, a déploré M. Labeaume. Mais en enjoignant à la classe politique d’« écouter attentivem­ent », ne prescrit-il pas lui-même une dose de trumpisme? Un politicien ne devrait pas se borner à « dire ce que le monde pense » ; se mettre totalement à la remorque des idées les plus communes. Les grands hommes politiques savent sentir et incarner leur peuple au-delà des enquêtes d’opinion. Il leur arrive souvent, contre des tendances et courants en croissance, de définir des politiques impopulair­es, mais auxquelles, par la suite, des majorités se rallieront. Dans le jargon contempora­in, on appelle ça le « leadership ».

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En enjoignant à la classe politique de se reconnecte­r et d’« écouter attentivem­ent », ne prescrit-il pas lui-même une dose de trumpisme?

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