De Labeaume à Trump
Quel effet auront les sorties de Régis Labeaume de cette semaine ? Elles pourraient, selon moi, faire plus de tort que de bien au débat public.
Le maire de Québec, récemment encore, refusait de répondre aux questions, se butant à lancer un « bonne journée » avec un sourire provocateur.
Cette semaine, le candidat Labeaume (le scrutin a lieu début novembre) s’est répandu en points de presse, étalant impressions, hypothèses, exposant des vérités et mises en garde graves.
BUFFET ET COCKTAILS
Plusieurs ont encensé ses sorties. « Il dit ce que le monde pense. »
C’était toutefois un discours imprécis. Un buffet dans lequel tout un chacun pouvait piger à sa guise.
M. Labeaume a quelque chose du « mixologue » politique produisant des cocktails d’opinion où sont mélangés tous les sujets d’actualité.
En bout de course, on goûte quelque chose, mais on ne sait pas exactement quoi.
Trente centilitres de manifestations et de contre-manifestations, quarante centilitres d’accueil des immigrants ou des réfugiés, un zeste de projet de loi 62, quelques gouttes d’essences d’avenir du français au Québec…
DES TABOUS ?
M. Labeaume a notamment déclaré que « la persistance des sujets tabous ici va nous faire mal. » Quels tabous ? Il a refusé de répondre directement à ces questions précises.
On a compris qu’il critiquait Philippe Couillard et Justin Trudeau, leur bien-pensance ; ce qui peut se justifier.
On a aussi entendu qu’il souhaiterait que soient interdits, dans l’espace public, les visages couverts, comme dans certains pays d’europe.
Où était M. Labeaume depuis la querelle des accommodements raisonnables déclenchée en 2007 ?
Depuis, il y a eu une commission d’enquête et quelque cinq projets de loi sur ces questions, dont la fameuse « charte des valeurs » ! Tabou ? Le débat a plutôt été obsédant !
Certes, il n’y a pas eu de décision finale. Aucun des projets de loi n’a été adopté, notamment à cause du refus du compromis des partis au pouvoir.
Paradoxe : l’effet Labeaume sur ce débat jeudi fut ralentissant. Le chef de l’opposition officielle, Jean-françois Lisée, proposa une suspension de l’étude du projet de loi 62 — qui interdirait le visage couvert dans les services publics — afin d’ouvrir la discussion sur une interdiction plus large, comme celle réclamée par le maire de Québec
« POLITICALLY ABJECT »
Personne ne défendra les tabous dans le débat public. Merde à la langue de bois, aux positions mièvres qui font l’effet d’un robinet d’eau tiède. D’accord ! Il y a toutefois un risque ici : que sous couvert de s’affranchir du « politically correct », certains concluent qu’ils doivent frayer avec le « politically abject ». M. Labeaume implore la classe politique de se reconnecter au « monde ben ordinaire », au « monde écoeuré », ceux-là mêmes qu’il dit actuellement tentés de faire de l’extrême droite leur « refuge idéologique » ! Que veut-il ? Que notre classe politique répète certaines faussetés courantes ? Qu’elle nie les opinions fondées sur des démonstrations rationnelles ou scientifiques ? « Trump a dédouané » bien des gens d’extrême droite, a déploré M. Labeaume. Mais en enjoignant à la classe politique d’« écouter attentivement », ne prescrit-il pas lui-même une dose de trumpisme? Un politicien ne devrait pas se borner à « dire ce que le monde pense » ; se mettre totalement à la remorque des idées les plus communes. Les grands hommes politiques savent sentir et incarner leur peuple au-delà des enquêtes d’opinion. Il leur arrive souvent, contre des tendances et courants en croissance, de définir des politiques impopulaires, mais auxquelles, par la suite, des majorités se rallieront. Dans le jargon contemporain, on appelle ça le « leadership ».