Des camionneurs refusent d’être filmés en continu
Un arbitre conclut que les caméras dans l’habitacle briment leur droit à la vie privée
Des camionneurs qui refusent que des caméras les filment dans leur habitacle viennent d’obtenir un jugement important en leur faveur.
Les chauffeurs québécois de l’entreprise Sysco se battaient depuis cinq ans pour empêcher leur employeur d’épier leurs faits et gestes grâce à des caméras installées à l’intérieur de leur camion. La Cour supérieure du Québec leur a finalement donné raison la semaine dernière, affirmant que cette mesure brimait leur droit à la vie privée.
Répandue aux États-unis, l’installation de Drivecam dans les camions de livraison est une pratique qui semble se transporter tranquillement au Québec. Mais dans la province, celle-ci est loin d’être bien accueillie par les travailleurs. Elle a déjà fait l’objet de deux batailles juridiques qui se sont soldées par des conclusions opposées.
SURVEILLANCE
En 2014, les employés québécois de Linde Canada ont contesté l’installation de caméras dans leurs camions. Ils ont finalement dû se résigner à être filmés, puisqu’un arbitre a conclu que le transport de produits dangereux justifiait cette surveillance (voir autre texte).
Cette fois, dans le cas du transporteur alimentaire Sysco, ce sont les camionneurs qui ont remporté la victoire. Le juge Benoît Moore a estimé que l’entreprise ne possédait pas de motifs suffisants pour légitimer l’ajout de caméras.
Les caméras de type Drivecam filment à la fois la route et l’habitacle du camion de manière continue. Selon Sysco, elles devaient servir à enregistrer des images pouvant constituer une preuve en cas d’accident et permettre d’offrir de la formation adaptée aux employés.
L’entreprise a d’ailleurs procédé à l’installation de ces appareils dans tous ses véhicules, autant au Canada qu’aux États-unis.
INTRUSIF
Mais dès l’apparition des caméras en 2012, les quelque 70 chauffeurs employés par la division québécoise de Sysco se sont plaints de se sentir « surveillés » et « intimidés » par le fait d’être constamment filmés.
En théorie, le système Drivecam devait n’enregistrer, pendant 12 secondes, que les événements particuliers comme une collision ou un freinage brusque. Les chauffeurs ont toutefois déploré qu’en réalité les caméras démarrent plusieurs fois par jour, à n’importe quel moment. Leur syndicat a donc déposé un grief.
L’an dernier, un tribunal d’arbitrage a ordonné à Sysco de retirer ses caméras. L’arbitre a déclaré qu’il s’agissait d’un moyen « particulièrement intrusif » puisque l’habitacle d’un camion possède un caractère plus privé et exigu qu’une usine ou un lieu de travail collectif.
L’employeur s’est conformé à cette décision avant de la contester. La Cour supérieure a choisi d’appuyer le verdict initial de l’arbitre.
ATTENDU
Selon Pierre Pelletier, camionneur indépendant depuis 30 ans, ce jugement, hautement attendu par les employés de l’industrie, pourrait faire boule de neige.
« Je sais qu’il y a plusieurs compagnies qui sont tentées de mettre ce genre de caméra là, constate-t-il. Mais je pense que cette décision-là va sûrement leur donner moins le goût. »
Il affirme que la plupart des camionneurs sont en accord avec l’installation d’une caméra filmant l’extérieur de leur véhicule. M. Pelletier en a d’ailleurs lui-même posé une sur son pare-brise.
« Mais l’habitacle de notre camion, c’est un peu comme notre maison, explique-t-il. On mange là-dedans, on se change… alors ce n’est pas très agréable de se faire filmer tout le temps. »
Comme l’entreprise Sysco a 30 jours pour porter le jugement en appel, le syndicat a préféré ne pas commenter le dossier pour l’instant, tout comme ses avocats. Le distributeur alimentaire, quant à lui, n’a pas rappelé Le Journal hier.