Des médias en crise d’hystérie
Les Québécois sont habitués à lire des énormités sur eux dans les journaux du Canada anglais, surtout quand ils relèvent la tête.
Je me demande cependant si nous avons déjà subi un tir de barrage comme celui que la presse de Madrid, où je suis toujours, réserve aux nationalistes catalans.
OUF !
Traditionnellement, les articles de reportage ou de vulgarisation des enjeux doivent être objectifs, factuels, rédigés dans une langue sobre.
Ce sont surtout les éditoriaux et les chroniques qui autorisent des prises de position et des feux d’artifice verbaux.
Cette distinction n’existe plus dans la plupart des journaux de Madrid. On lit ça et on se pince.
J’ai fait un petit travail de traduction. Voici comment, il y a quelques jours, dans le journal ABC, le quotidien de la droite traditionnelle, un article présentait « objectivement » les préparatifs référendaires du gouvernement catalan :
« Fracassé contre le mur de la légalité, le gouvernement de Catalogne poursuit l’organisation de son référendum du 1er octobre. Se moquant de la loi, mais essayant de se donner un air de normalité, cet artifice référendaire se construit comme s’il s’agissait d’une convocation ordinaire, mais tout est fait sous cape pour déjouer l’action de la Justice ».
OUAIS…
Dans le même journal, voici comment on rapporte « objectivement » l’action internationale de Barcelone :
« Le gouvernement cherche à in- toxiquer des pays européens avec des informations manipulées. […] C’est précisément dans l’arène internationale que l’on mesure mieux son échec, puisqu’aucun gouvernement ou organisme international n’a avalisé ses plans sécessionnistes ».
Je pourrais vous en citer des dizaines.
FOU RAIDE
Quant aux chroniqueurs, c’est le délire pur et simple.
À Madrid, il faut chercher longtemps pour trouver un chroniqueur osant se demander si l’espagne n’aurait pas quelque examen de conscience à faire, une part de responsabilité dans la montée de la frustration catalane.
Non, le ton général est de s’enrouler dans le drapeau, de le saluer au garde-à-vous et d’entonner la Marcha Real (l’hymne national).
Dans ABC, Gabriel Albiac qualifie de tentative de « coup d’état » les agissements d’un gouvernement catalan pourtant élu.
Voici les gentilles épithètes qu’il utilise pour qualifier les partis qui forment la coalition souverainiste : « réactionnaires rancis basés sur la corruption et le vol », « version paradoxale du discours totalitaire pur et dur », « thèses patriotiques, hitlériennes dans leur transparence, amalgamées à de flamboyants discours insurrectionnels à mi-chemin entre Joseph Staline et Cristina Kirchner ».
Dans le journal La Razòn (La Raison), qui se veut donc « raisonnable », José Maria Marco écrit : « Le plus grand danger pour l’équilibre européen se situe en Catalogne. Ceux qui se pensaient les plus européens des Espagnols ont une conduite xénophobe et d’isolement ».
Voyez, en Espagne aussi, le mot « xénophobe » est vite lancé à la tête de tout nationaliste, sauf si c’est pour afficher le nationalisme espagnol.
Dans le même journal, un éditorial non signé soutient que « les nationalistes catalans […] ne devraient pas oublier que leur irresponsabilité les conduit plus près de Moscou que de Bruxelles ».
Moscou, Hitler, xénophobie, ça donne une idée générale de ce qu’on lit ces jours-ci.
NUANCES
Le plus curieux est que cet unanimisme de la presse madrilène tranche avec la réalité infiniment plus nuancée de la société catalane.
En Espagne, il y a moins de sondages que chez nous. Mais celui publié cette semaine par La Razòn traduit une réalité très éloignée du front commun médiatique anti-catalan.
Quand on demande aux Catalans si le référendum prévu leur semble légal, ils répondent non à 45 % et oui à 42,4 %.
Iront-ils voter ? Oui à 56,5 %, non à 30,9 % et 12,6 % ne savent pas.
Approuvent-ils les mesures de Madrid pour stopper le référendum ? Non à 48,6 % et oui à 39,3 %.
Pensent-ils que les Catalans forment une nation distincte ? Oui à 62,5 %.
Faudrait-il réformer cette fameuse constitution espagnole ? Oui à 68,1 %.
Mais à Madrid, cet écho ne parvient pas ou parvient très déformé. On ne voit pas le malaise. On préfère s’enrouler dans le drapeau.