COMMENT L’INCENDIE A COMMENCÉ
BARCELONE | Le nationalisme catalan est très ancien, mais le sentiment indépendantiste n’a réellement pris son envol que dans les sept ou huit dernières années.
Le feu prend vraiment en 2010. Je vais essayer de vous l’expliquer le plus simplement possible.
BLOCAGE
La Catalogne est régie par une loi fondamentale, qui tient lieu de constitution, qu’on appelle le Statut d’autonomie.
Dans le cadre de la Constitution espagnole de 1978, qui est celle du retour à la démocratie après la mort du dictateur Franco, ce Statut d’autonomie définit le partage des pouvoirs entre le gouvernement catalan et l’état espagnol.
NOUVEAU STATUT
En 2003, c’est une coalition de gauche qui gouverne la Catalogne. Elle veut négocier, surtout pour des raisons fiscales, un nouveau Statut d’autonomie avec Madrid.
Les négociations sont compliquées, mais avancent. En 2005, un nouveau Statut est adopté par le Parlement catalan.
En 2006, il est adopté par le Parlement espagnol, puis ratifié par un référendum en Catalogne. Il entre en vigueur en 2006.
Tout semblait bien aller. Mais il y avait un os dans la bouchée.
En 2006, le Parti populaire, qui est aujourd’hui au pouvoir à Madrid, mais qui était alors dans l’opposition, s’adresse au Tribunal constitutionnel (TC), chargé de veiller au respect de la Constitution de 1978.
Il plaide l’anticonstitutionnalité de plusieurs articles. Plusieurs gou- vernements régionaux se joignent à cette croisade.
Le tribunal se retrouve avec une patate chaude. Mais il est en très mauvaise position pour la gérer.
Plusieurs juges ont dépassé la durée normale de leur mandat, n’ont pas été remplacés et sont donc en situation irrégulière.
Un juge meurt. Un autre démissionne. On ne réussit pas à s’entendre sur son remplaçant et son fauteuil reste vacant.
La présidente du TC est accusée de conflit d’intérêts en raison du rôle de conseiller juridique joué par son mari.
Plus largement, certains juges sont clairement de droite et s’alignent sur les positions du Parti populaire, tandis que d’autres juges sont de gauche et reprennent les positions du Parti socialiste. Bref, c’est le bordel à la Cour. Finalement, en 2010, le Tribunal constitutionnel fait connaître son verdict : il invalide 14 des 223 articles du Statut, mais les articles invalidés sont le coeur du document.
Les juges reconnaissent que la « nation » catalane est une réalité historique et culturelle, mais rejettent que l’on donne une portée légale et génératrice de droits nouveaux à cette notion.
Ils acceptent que le catalan soit la langue principale dans les écoles, mais ils refusent qu’elle soit la langue principale de l’administration publique.
Ils refusent que le Défenseur du peuple nommé par Barcelone – un équivalent de notre Protecteur du citoyen – puisse seul, sans droit de regard de Madrid, superviser tous les organismes publics catalans.
Ils refusent également que les autorités catalanes puissent seules nommer juges et magistrats, et qu’elles puissent seules légiférer sur les banques, les caisses d’épargne et les assurances.
COLÈRE
Deux semaines plus tard, un million de personnes marchent pacifiquement pour protester dans les rues de Barcelone.
Tout cela survient au moment où les mesures d’austérité imposées par Madrid pour juguler la crise économique font mal.
Nombre de nationalistes modérés basculent alors dans le camp souverainiste. Le sentiment souverainiste s’envole, mais ne franchit pas, clairement et durablement, la barre des 50 %.
Un référendum non décisionnel, boycotté par les gens opposés à la souveraineté, est tenu en novembre 2014. Il donne une écrasante majorité au oui (80 %), mais avec un taux de participation très inférieur à 50 %.
Madrid décide ensuite de poursuivre en justice certains organisateurs de ce référendum, en commençant par Artur Màs, jusque-là le chef modéré des nationalistes catalans, longtemps perçu comme « catalaniste » plus que souverainiste.
Il est condamné à une forte amende et à deux ans de privation de tout mandat électif.
Depuis, le recours systématique, par Madrid, à l’arme judiciaire et son refus de chercher une solution politique à une crise politique sont perçus par beaucoup comme autant de bûches jetées dans le poêle souverainiste.