L’ÉVEIL DE LA JEUNESSE
BARCELONE | Hier, j’ai déambulé tout l’après-midi autour de la plaza Universitat, qui est devant l’édifice historique de l’université de Barcelone.
C’est l’un des principaux lieux de rassemblement des manifestants indépendantistes.
Les étudiants sont maintenant en grève pour réclamer le droit de voter.
Beaucoup d’entre eux se promènent avec le drapeau catalan en guise de cape autour des épaules. Ils scandent : « Votarems » (nous voterons).
COEUR OUVERT
Ils se prénomment Meritxell, Sergi, Blai, Marc. Elle est âgée de 21 ans et eux de 22, tous étudiants en mathématiques à l’université.
J’ai aussi longuement bavardé avec Pau, Xavi et un autre Xavi, tous 22 ans, étudiants en histoire, communications et pédagogie.
Si on les écoute pour vrai, il faudrait un coeur de pierre ou beaucoup de cynisme pour ne pas être ému.
Ils sont ouverts et souriants, pas du tout nerveux ou agressifs, conscients de vivre des moments historiques.
Je leur demande si le vote aura lieu. « Le vote sera sans doute possible dans les petites localités. Dans les grandes villes, il est très compromis », me répond Pau.
Je demande : et si vous allez voter et que la police vous bloque la voie ? « Nous essaierons de passer, pacifiquement », répond Xavi.
Pensant aux conséquences possibles, je change de sujet.
J’aborde la question de la légalité. « On dit que le référendum est illégal, sauf que la loi espagnole ne donne aucun espace légal pour en tenir un, ajoute Xavi. Alors on fait quoi ? On attend une permission qui ne viendra jamais ? »
Il n’a pas tort. Madrid demande au gouvernement catalan quelque chose d’impossible : un référendum légal en vertu d’une loi… qui prohibe la souveraineté.
Je prononce le mot le plus utilisé ces jours-ci dans toute l’espagne : dialogue. « Dialogue ? Ça fait des années que la Catalogne le demande », me répond Pau.
Il ajoute : « Pour moi, c’est une affaire d’identité, D’ADN presque, pas du tout économique. Je ne me sens pas Espagnol. »
Quelques minutes plus tôt, Meritxell m’avait mentionné exactement la même chose : l’espagne est un pays étranger pour elle.
L’absence chez eux du moindre attachement émotif à l’idée de l’espagne est un état d’esprit qui rappelle celui de nombreux Québécois vis-à-vis du Canada.
Xavi, l’étudiant en histoire, me dit : « Le système politique espagnol est archaïque. Ce mouvement est aussi une occasion de construire quelque chose de neuf, davantage du bas vers le haut. »
NÉO-FRANQUISME
Son compagnon au même prénom ajoute : « Le franquisme de jadis a été suivi par une sorte de néo-franquisme plus subtil, mais aussi très autoritaire, qui a des tentacules dans tous les recoins de la société. »
Quand j’essaie de comprendre, il fait valoir la disproportion entre une revendication populaire et pacifique et la riposte musclée de Madrid : arrestations, amendes, menaces et saisie de matériel.
Je leur demande ce qu’ils pensent d’une éventuelle déclaration unilatérale d’indépendance. Tout dépend, disent-ils, si elle est précédée ou non par un vote en bonne et due forme.
Si ce n’est pas le cas, ajoutent-ils, elle manquerait de légitimité. Les autres pays ne la reconnaîtraient pas.
C’est la première implication poli- tique de leur vie au-delà de voter. Ils collent des affiches, assistent à des rassemblements, participent à des marches.
Plusieurs me disent que leurs familles ont basculé dans l’indépendantisme en 2010, quand le Tribunal constitutionnel a invalidé la nouvelle constitution interne de la Catalogne, pourtant ratifiée par les Parlements de Barcelone et de Madrid.
Mais Xavi, l’étudiant en communication, s’empresse de dire qu’il n’a pas la moindre hostilité envers l’espagne, qu’il a plein d’amis espagnols. C’est le système politique qu’il rejette.
Un thème fait l’unanimité : la corruption du parti de Mariano Rajoy et de toute la classe politique.
« Le Parti populaire et le Parti socialiste sont des canailles qui vivent dans les années 1970 et n’ont pas vu le temps passer. Leur horloge s’est arrêtée », dit le même Xavi.
Si la votation est compromise, quelles suites ? Ils ne le savent pas du tout, mais Blai lâche : « Peut-être une grève générale. »
Puis, l’un d’eux ajoute : « Nous n’ou- blierons jamais. »
En effet, si la première expérience politique marquante de cette jeunesse se solde par une profonde amertume et beaucoup de ressentiment envers le reste de l’espagne, ce pays se prépare un avenir très compliqué.