Jour ... de vote ?
BARCELONE | C’est le grand jour… enfin, peut-être.
Votera-t-on un peu ? Beaucoup ? Moyennement ?
Hier, tous les sites électroniques donnant les lieux de votation fermaient les uns après les autres. Aujourd’hui, les gens se dirigeront vers les lieux où ils ont l’habitude de voter.
Ne comptez pas sur moi pour que je dise comment les Catalans devraient voter.
Y a-t-il quelque chose de plus détestable que ces étrangers qui débarquent chez nous et nous « expliquent » que la souveraineté est une bonne ou, plus souvent, une mauvaise idée ?
DÉROULEMENT
Hier soir, la police catalane empêchait l’accès aux écoles aux gens qui voulaient s’y installer pour la nuit en prévision d’aujourd’hui. Pas de violence jusqu’à maintenant.
Aujourd’hui, dès 6 heures du matin, deux policiers devraient être postés à l’entrée de chaque lieu de votation.
Ce sont 2315 lieux de votation qui sont prévus, dont 207 à Barcelone. Il y a 5 343 358 électeurs.
Je ferai le tour de plusieurs lieux de votation pour voir ce qui s’y passe. Je me sens dans un film de science-fiction.
Le vice-président du gouvernement catalan, Oriol Junqueras, dit qu’en cas d’empêchement, il y aura des « alternatives ». Lesquelles ? Le vote électronique ? Il n’a pas précisé.
Le vote traditionnel sera probablement plus facile à l’extérieur des grands centres.
S’il y a un décompte des voix, le oui gagnera puisque les opposants à l’exercice le boycottent.
À quel taux de participation peut-on s’attendre ? Mystère.
En 2014, un référendum jugé illégal par la justice espagnole s’était transformé en « consultation démocratique » non officielle : le oui avait obtenu 80 % des voix et le taux de participation avait tourné autour de 40 %.
Si le taux de participation est très faible aujourd’hui, une déclaration unilatérale d’indépendance semble impensable, mais on a vu tellement de choses impensables ces derniers jours.
LAMENTABLE
Comment réagira la société civile ? Grèves, manifs, désobéissance ? Nul ne le sait.
Dans la mouvance souverainiste, il y a des organisations civiles puissantes, très mobilisées, qui ne prennent pas leurs ordres des partis politiques.
Quand on veut empêcher un peuple de parler, on peut toujours lui donner la parole en convoquant des élections.
C’est une des options qui s’offrent au gouvernement de M. Puigdemont.
Demander des négos à Madrid ? Madrid a déjà répondu qu’on ne peut négocier avec quelqu’un qui a enfreint la loi et a rendez-vous avec la justice.
Car Madrid n’a que ces seuls mots à la bouche : la loi, la Constitution, la loi, la Constitution…
Je savais qu’il y avait une Espagne sombre et autoritaire. Mais je ne savais pas qu’elle était tapie si près de la surface et qu’elle serait si prompte à relever la tête.
On peut être pour ou contre la souveraineté de la Catalogne, mais il faut bien dire que Mariano Rajoy a été en dessous de tout.
Jamais il n’a abordé politiquement une question politique. Jamais il n’a plaidé sur le fond des choses pour l’unité espagnole, contre la souveraineté, pour une éventuelle réforme constitutionnelle.
On aurait pu être pour ou contre, mais il aurait été honorable. Non, il a préféré se cacher derrière des juges et des policiers.
Sur le terrain proprement politique, il a laissé parler ses voisins européens… et Donald Trump.
Il a peut-être gagné du temps, mais il n’a rien réglé. Au contraire, si Rajoy voulait affaiblir le nationalisme catalan, il l’a au contraire soudé, renforcé, tonifié, mobilisé.
Le débat des derniers jours, voyezvous, n’était plus tellement sur le pour ou le contre de la souveraineté. Il était sur le droit ou non de se prononcer.
HUMILIATION
Huit Catalans sur 10 veulent un référendum. Seulement quatre sur 10 veulent la souveraineté.
Si Rajoy avait permis le référendum et fait campagne pour le non, comme l’ont fait les adversaires de la souveraineté au Québec et en Écosse, il aurait sans doute gagné.
S’il avait fait suivre cette victoire d’une main tendue généreuse, il aurait désamorcé les tensions dans une société dont je vous ai souvent dit que je la sens plus « catalaniste » que souverainiste.
Mais il lui aurait fallu l’envergure d’un chef d’état, alors qu’il n’est qu’un petit politicien professionnel.
Au lieu de relever le défi lancé par quatre Catalans sur 10, il a heurté de front huit Catalans sur 10.
Il l’a fait de manière si brutale, si disproportionnée dans le contexte d’une démocratie moderne que nombre de Catalans modérés sont aujourd’hui furieux et humiliés.
Il est terriblement dangereux d’humilier un adversaire. Il s’en souvient.