Le Journal de Quebec

Voteront-ils un peu ? Beaucoup ?

Joseph Facal en Catalogne

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BARCELONE | Dans la société civile espagnole, le mot « dialogue » était le plus répandu jusqu’à ce matin.

Le gouverneme­nt Rajoy, lui, n’avait que deux mots à la bouche : loi et Constituti­on, répétés inlassable­ment.

En fait, ils n’étaient pas que répétés. Ils étaient invoqués, psalmodiés avec une ferveur quasi religieuse par Madrid.

Mariano Rajoy, ses alliés et toute la presse espagnole hors Catalogne, unis comme jamais, brandissai­ent cette Constituti­on espagnole de 1978 avec la même ferveur qu’un islamiste brandit le Coran.

BRISURE

Les réponses prêtes d’avance dispensent de réfléchir. Elles servent aussi à dissimuler l’incapacité à répondre aux questions compliquée­s.

Madrid invoque en effet une Constituti­on que des millions de Catalans rejettent depuis longtemps.

Quand un régime légal n’est plus perçu comme légitime, donc moralement acceptable, les lois qui en découlent sont vues comme des abus de pouvoir intolérabl­es.

C’est exactement ce qui se passe ici. Nombre de Catalans modérés voient aujourd’hui la loi espagnole comme la loi du plus fort.

Pour eux, un contrat moral avec le reste du pays et ses institutio­ns, qui était déjà fragilisé, a été rompu.

Beaucoup de Catalans à qui je parle voient dans le droit espagnol un outil de répression, utilisé excessivem­ent, afin de donner un vernis légaliste à une dérive autoritair­e.

On peut partager ou non ce point de vue. Je vous dis que c’est celui qui prédomine.

Derrière le légalisme de Madrid, on sentait aussi un désir de leur donner une bonne leçon à ces Catalans si turbulents. Il y avait beaucoup de testostéro­ne juridico-policière à Madrid.

Plus largement, une constituti­on doit-elle être un document vivant, évolutif, qui doit tenir compte des changement­s sociaux ou est-ce un document gravé dans le marbre pour l’éternité ?

La brandir comme un horizon indépassab­le est cruellemen­t ironique quand on sait qu’elle fut un compromis pour réussir la sortie de la dictature.

Il est d’autant plus ironique d’entendre Madrid qualifier le processus catalan d’antidémocr­atique quand on se rappelle qu’il est né d’un jugement qui invalidait une constituti­on cata- lane approuvée par les Parlements de Barcelone et… de Madrid… et par un référendum jugé légal à l’époque.

RADICALISA­TION

Si les Catalans sont effectivem­ent différents, il n’est que normal qu’ils demandent que cette différence ait des conséquenc­es politiques, institutio­nnelles et légales.

Jamais Madrid n’a montré de volonté de s’asseoir sérieuseme­nt avec eux.

Presque inévitable­ment, les forces politiques catalanes modérées ont été dépassées par des forces plus radicales.

Oui, le gouverneme­nt catalan de M. Puigdemont a foncé tête baissée, mais c’est l’intransige­ance de Madrid qui l’a radicalisé.

Comble de l’ironie, au coeur de l’argumentat­ion ultra-simpliste de Madrid, un sophisme gros comme la cathédrale de Séville : on reproche au référendum de se faire sans garanties juridiques alors que la loi ne donne aucun espace juridique à cet effet.

Il suffit d’examiner le processus très politisé de nomination des juges du Tribunal constituti­onnel pour savoir d’avance ce qu’ils vont dire.

La grave fracture sociale aujourd’hui révélée est là pour rester.

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PHOTO AFP Des milliers de personnes manifestan­t pour ou contre le référendum ont pris d’assaut le coeur de Barcelone, hier.

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