Shadi Hamid ou l’érudition courageuse
Edmonton, Barcelone, Nice, Paris, Bruxelles, New York, Boston… et tant d’autres.
On ne compte plus les attentats commis par des individus qui se réclament de l’islam.
Dans ce contexte, si vous dites que cette religion n’est pas différente des autres, on vous accusera d’aveuglement volontaire.
Si vous dites que cette religion soulève des enjeux particuliers, on vous accusera d’« islamophobie ».
Comme tous les intellectuels sérieux, Shadi Hamid, lui-même musulman, confronte les questions sérieuses.
Il se demande : l’islam est-il un cas à part ?
Dans son formidable livre Islamic Exceptionalism, tout juste publié, il répond : oui, l’islam est vraiment une exception parmi les grandes religions.
Le passé ne programme pas tout, mais on ne peut y échapper complètement.
ORIGINES
L’islam est d’abord différent, explique Hamid, par les circonstances de son commencement.
Jésus n’a jamais utilisé la force pour imposer sa foi. Mahomet, chef de guerre, oui. Pour certains aujourd’hui, l’exemple vient de haut et le mode d’emploi initial reste valable.
Dans le christianisme, Jésus serait mort pour nos péchés. La doctrine prétend qu’il les a effacés et que, si l’on vit comme lui, on fait sa volonté.
À la limite, on peut être un bon chrétien sans aller à l’église. Celle-ci s’est organisée beaucoup plus tard.
C’est pourquoi le Nouveau Testament ne contient pas beaucoup d’injonctions sur comment il faut punir les pécheurs.
Le Coran, lui, est rempli d’injonctions précises sur l’application de la charia.
Voilà pourquoi, pour les islamistes radicaux, le Coran tient lieu de manuel d’instructions sur comment organiser une société, même s’il remonte au 7e siècle.
Voilà pourquoi le clergé musulman, chargé d’interpréter la loi islamique, garde une influence considérable qui mine la légitimité du pouvoir politique laïque.
Jésus chargea Pierre de fonder l’église. Il y eut des tas de complications, mais c’était relativement clair.
Dès la mort de Mahomet, on se déchire sur le « vrai » successeur. Cette guerre fratricide entre chiites et sunnites dure depuis 14 siècles.
Comme dit Hamid, le passé ne programme pas tout, mais on ne peut y échapper complètement.
Pendant des siècles, la civilisation arabe fut florissante. Vinrent ensuite la colonisation occidentale, les despotes locaux et l’entrée ratée dans la modernité.
Après la fierté, ce furent l’humiliation et le ressentiment. Certains y virent un châtiment divin.
Pas étonnant qu’ils aient pensé qu’il fallait revenir à la pureté des origines et vivre comme les fondateurs : ascètes, puritains et guerriers.
C’est aussi beaucoup demander à des populations peu éduquées d’interpréter le Coran subtilement en fonction des contextes qui changent.
AVENIR
Beaucoup d’occidentaux espèrent que l’islam suivra une trajectoire historique comme celle du christianisme.
Le christianisme fut contesté, réformé, assagi, puis se cantonna dans la sphère privée et les lieux de culte, sans prétention à régenter toute la société.
Rien, sauf l’optimisme, dit Hamid, ne permet de penser que l’islam, précisément en raison de sa nature différente, connaîtra une évolution similaire.