« Ça m’a obligé à faire un homme de moi »
Martial Labrecque venait de prendre la relève de la ferme familiale lors de l’accident
« On n’a pas passé encore à travers, on ne peut pas. Ça reste, et ça va rester jusqu’à la fin. »
Martial Labrecque avait 29 ans quand il a perdu sa mère et son père dans la tragédie des Éboulements. Vingt ans après, il parle encore de la mort de ses parents avec beaucoup d’émotions.
Lui et sa femme, Monique Breton, avaient pris la relève de la ferme familiale quatre ans avant l’accident. Quand son père Marcel a péri, Martial Labrecque a perdu un important repère. Il était son guide, son mentor.
« Si mon père était encore là, je serais pas l’homme que je suis là, pas pantoute, évoque le père de quatre enfants. Ça m’a obligé à devenir bon, autonome et à faire un homme de moi », affirme-t-il, se disant fier de ce qu’il est devenu.
Le deuil, qu’il considère comme à jamais inachevé, a été difficile, convient-il. Après la colère contre la compagnie d’autocars, la peine fut immense.
« Je focussais beaucoup sur mon père, parce que je travaillais tout le temps avec lui. Mais au bout de deux ans, j’ai dit : j’ai même pas pleuré ma mère. Là, j’ai eu de la peine en maudit », se remémore-t-il.
SE « GARROCHER » DANS LE TRAVAIL
Pour éviter la tristesse qui l’envahissait, raconte Mme Breton, son mari « s’est garroché dans l’ouvrage ».
« Il avait beaucoup de projets d’expansion, mais à ce moment-là, on n’était pas conscients que c’était une façon de vivre son deuil », mentionne-t-elle.
« Et j’en ai eu, des bébelles ! renchérit Martial Labrecque. J’ai jamais pris une pilule, mais la récompense avec des objets, ça, par exemple... Le garage était plein : des quatre roues, en veux-tu, des ski-doos, un convertible », énu- mère l’agriculteur, qui a eu à vivre une autre dure épreuve, en 2010, quand il a dû reconstruire son étable après un incendie.
JALOUSIE ET NOSTALGIE
Malgré les années qui passent, Martial Labrecque ressent toujours le vide qu’a laissé la perte de ses parents. « De plus en plus, j’ai une jalousie envers les autres, envers ceux qui ont encore leurs parents avec eux, vivants », confie-t-il.
« On s’ennuie encore. L’odeur quand tu rentres dans la maison à ta mère quand tu vas dîner, ça sent bon. Tu ne la sens plus jamais, cette odeur-là », image avec nostalgie M. Labrecque, qui a prénommé un de ses enfants Marcel en l’honneur de son père.
« On ne les oublie pas, mais on ne focusse pas tout le temps là-dessus non plus, précise Monique Breton, qui avait aussi perdu ses deux grand-mères dans l’accident. La vie continue », conclut la femme de Saint-bernard.