Quel fossé entre nos deux Canada !
Le 28 septembre, Mélanie Joly, ministre du Patrimoine, a annoncé la nouvelle politique culturelle du pays. Je ne me souviens pas d’un événement qui montre à ce point le fossé qui existe entre notre milieu culturel et celui du Canada anglais. Au Québec, tout le milieu sans exception a dénoncé l’entente avec Netflix. Au Canada anglais, l’accord a été plutôt bien accueilli.
Assez bien pour que la ministre continue de s’en vanter à l’extérieur du Québec et de le présenter comme la pierre angulaire de sa nouvelle politique. Aux États-unis, à l’exception des deux journaux spécialisés du « show-business », Variety et The Hollywood Reporter, les médias ont passé sous silence les 400 millions $ US que Netflix s’est engagé à investir dans des productions « canadiennes » durant les cinq prochaines années.
Les deux journaux ont aussi souligné la controverse suscitée au Canada par la décision d’ottawa de soustraire Netflix à la TPS. Fait notable, un porte-parole de Netflix, Bao-viet Nguyen, a déclaré au Hollywood Reporter que « son entreprise paie toujours les taxes lorsqu’elle est requise de le faire par la loi ».
DEUX JOURS À TORONTO
La semaine dernière, après deux jours passés à Toronto dans le milieu de la télévision, j’ai pu constater à quel point diffère, selon qu’on soit de langue française ou anglaise, la vision de l’entente Netflix-joly. Pour les auteurs et les artistes anglophones, l’engagement de Netflix est une chance inespérée de se faire connaître aux États-unis et de pouvoir à terme y travailler de façon régulière avec, comme carotte, les cachets faramineux qu’y touchent les vedettes.
Aucune des personnes avec qui j’ai discuté ne voit le moindre colonialisme dans la proposition de Netflix. Celle-ci répond pourtant parfaitement à la pratique du colonialisme puisqu’en vertu de l’entente, Netflix assure sa domination sur les contenus, contrôle leur production qu’elle fera chez nous dans des conditions plus économiques et se ménage leur exploitation à travers le monde. Ce sont les principes mêmes du colonialisme.
Les auteurs et les artistes anglophones n’ont jamais vu non plus de colonialisme ou de sujétion dans les séries « originales » qu’on tournait à Toronto déguisé en ville américaine, ou dans un lieu dont on prenait grand soin de laisser croire qu’il se trouvait quelque part aux États-unis.
LE BON « DEAL » DE NETFLIX
C’est l’évidence même qu’en investissant quelques dizaines de millions de dollars de plus par an pour échapper au système de réglementation et aux taxes à la consommation auxquels sont soumis nos distributeurs canadiens, Netflix fait une vraie bonne affaire. Comme il est maître des contenus, il ne fera produire que les oeuvres susceptibles d’être rentables ailleurs qu’au Canada. Même la CBC, qui vient de produire avec Netflix les excellentes séries Anne et Alias Grace, s’interroge discrètement sur la suite des choses depuis cet accord avec le géant américain.
Vaincus, minoritaires depuis des siècles, les francophones du pays sont jaloux à juste titre d’une identité qu’ils ont réussi à conserver et à parfaire, en partie grâce à leur télévision. Dans les circonstances, jamais nos créateurs et artistes n’accepteraient qu’une partie importante de leur culture soit ainsi « sous-traitée » à une société étrangère, fût-elle française.
De culture québécoise elle-même, comment expliquer que madame Joly n’ait pas vu venir la réaction aussi spontanée et aussi unanime de son propre milieu ?
TÉLÉPENSÉE DU JOUR
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