Le Journal de Quebec

Un peuple face aux monstres froids

- JOSEPH FACAL joseph.facal@quebecorme­dia.com

Les gens des médias se déplacent souvent comme un banc de sardines : tous dans la même direction.

Pendant qu’ils commentero­nt jusqu’à plus soif le remaniemen­t ministérie­l survenu dans une société qui a choisi de vivre dans les marges de l’histoire, l’histoire, la vraie, s’écrit en Catalogne.

Mais quelle Histoire au juste ? Et de quelles leçons est-elle porteuse pour les souveraini­stes d’ici et pour les nations minoritair­es ?

N’y en a-t-il que pour la force brute ?

SEULS

« Nous ne sommes pas des délinquant­s, nous ne sommes pas des fous, nous ne sommes pas des illuminés ni des putschiste­s. Nous sommes des gens normaux qui veulent s’exprimer ».

C’est le président catalan, Carles Puigdemont, qui s’exprimait ainsi mardi, voulant expliquer l’attitude de ces Catalans brutalisés pour avoir voulu décider eux-mêmes de leur avenir en votant.

Lui et ses compagnons signaient ensuite une déclaratio­n symbolique d’indépendan­ce, mais n’enclenchai­ent pas le processus de rupture, appelant de nouveau Madrid au dialogue.

Chaque jour qui passe, ils découvrent que c’est Madrid qui a les meilleures cartes dans son jeu.

Ils réalisent que la vague de sympathie internatio­nale à leur endroit ne pèse pas lourd. La sympathie peut aller de pair avec un isolement diplomatiq­ue quasi total.

Ils voient que l’article 1 de la Charte des Nations Unies, qui reconnaît le droit des peuples à disposer librement d’eux-mêmes, ne vaut guère plus.

En sabotant le référendum, Madrid s’est assuré que l’exercice n’avait pas la légitimité nécessaire pour fonder une déclaratio­n unilatéral­e.

Tous les pays serrent les rangs derrière Madrid après avoir fait semblant de s’offusquer de la violence policière.

Véritables grenouille­s de bénitier, monumental­ement hypocrites, les pays de l’union européenne appellent au « dialogue ».

Mais dialoguer avec qui ? Madrid n’accepte qu’une capitulati­on pure et simple.

Coincé, Carles Puigdemont doit gagner du temps, tenir à bout de bras une coalition turbulente, garder l’initiative et, surtout, ne pas perdre la face.

Il fait bien de ne pas foncer : la politique du pire serait la pire des politiques. La riposte de Madrid ferait reculer l’autonomie catalane de 40 ans.

FORCE

Quand j’étais un jeune étudiant en science politique, j’avais été fasciné par un ouvrage du grand politologu­e américain Stanley Hoffmann, intitulé Une morale pour les monstres froids.

Hoffmann constatait qu’il n’y a aucune place pour les bons sentiments dans le jeu politique internatio­nal. Pour les régimes politiques, quels qu’ils soient, seules comptent leur puissance et leur survie.

Y a-t-il la moindre place pour la morale, se demandait-il ? N’y en a-t-il que pour la force brute ? Vous devinez sa réponse désabusée.

Ces admirables Catalans sont en train d’apprendre que la liberté politique est l’aboutissem­ent incertain d’une très longue marche, qu’on ne peut compter que sur soi-même, qu’il n’y a aucune aide à attendre d’autrui, et que toute naïveté est interdite.

Les souveraini­stes québécois en savent quelque chose.

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Carles Puigdemont

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