Femmes autochtones : de l’oubli à l’indifférence
Le sort réservé aux filles et aux femmes autochtones victimes de violence au Canada est une tragédie. Le taux d’homicide qui les afflige est sept fois plus élevé que celui des non-autochtones.
Le gouvernement fédéral a finalement annoncé, le 8 décembre 2015, la tenue d’une enquête nationale pour cerner « les causes systémiques » de cette violence et « recommander des mesures efficaces pour y remédier ».
UNE ENQUÊTE BOITEUSE
Des rencontres initiales avaient eu lieu à travers le Canada, entre décembre 2015 et février 2016, avec des survivantes et des familles de victimes ainsi qu’avec des représentants autochtones sur les plans national, provincial et territorial.
Un rapport issu de cette consultation avait été publié, en mai 2016, et devait servir à déterminer le mandat et la portée de la commission d’enquête.
Le 3 août 2016, l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) a été mise en oeuvre et les noms des cinq commissaires qui la mèneront, dévoilés. Échéancier : deux ans (2016-2018). Coût de l’opération : 54 millions de dollars.
Ses travaux avaient débuté le 1er septembre 2016. Un premier rapport provisoire était attendu au 1er novembre prochain et le rapport final, le 31 décembre 2018.
C’était avant qu’elle ne s’embourbe dans les méandres bureaucratiques et les ingérences politiques, et qu’elle soit frappée de paralysie générale. Huit mois à peine après sa création, elle était déjà décriée par celles-là mêmes à qui elle devait rendre un semblant de justice.
En avril 2017, une coalition de groupes de défense des femmes autochtones avait sonné l’alarme et qualifié l’exercice d’échec : 1. Manque de communication et incapacité à rejoindre les témoins potentielles ; 2. Ces dernières avaient été livrées aux bons soins d’un répondeur automatique et à une adresse courriel pour « parler » froidement à la commission. Or, plu- sieurs familles concernées vivent dans des villages qui n’ont même pas accès à internet ; 3. Absence de coordination entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, ainsi qu’avec les organismes des communautés autochtones ; 4. Incapacité à dresser un portrait fiable des victimes de cette tragédie. Combien sont-elles ? La GRC les avait estimées à 1200. Or, à peine une centaine s’étaient manifestées pour témoigner.
CASCADE DE DÉMISSIONS
Il n’en fallait pas plus pour qu’une coalition d’organismes autochtones et non autochtones rende publique, le 15 mai dernier, une lettre ouverte à la commissaire en chef, Marion Buller, dans laquelle elle accuse l’enquête de « manque de transparence », de vision, de leadership et de crédibilité. Son fonctionnement est jugé « trop légaliste » et ne tient pas compte de la justice réparatrice propre à la tradition autochtone. Le gouvernement fédéral est accusé de compromettre l’indépendance de l’enquête.
À ce jour, la commission n’a tenu que deux audiences publiques, la première à Whitehorse, le 29 mai 2017, et la deuxième à Smithers, en Colombie-britannique, le 28 septembre dernier.
Ce gâchis va conduire neuf membres et personnel de L’ENFFADA à remettre leur démission entre février et octobre 2017 : deux responsables des communications, Michael Hutchison et Sue Montgomery, la directrice générale, Michèle Moreau, la directrice des opérations, Chantale Courcy, l’agente de liaison avec les communautés autochtones, Tanya Kappo, la commissaire, Marilyn Poitras, l’avocate principale, Susan Vella, et la directrice de recherche, Aimée Craft.
Avant de prolonger le mandat de cette enquête boiteuse pour un autre deux ans, comme le demandent les commissaires, il faut en faire un diagnostic rigoureux et s’assurer que les objectifs de cet exercice seront atteints. C’est le minimum. Par respect pour la mémoire des femmes autochtones assassinées et disparues, et leurs familles.
Il est où, le premier ministre, Justin Trudeau, qui est allé dire aux Nations unies, le 21 septembre dernier, qu’il allait mettre fin aux abus subis par les autochtones au Canada ?