Le Journal de Quebec

Quand l’artiste est un salaud

- LISE RAVARY e Blogueuse au Journal Communicat­rice, journalist­e et chroniqueu­se lise.ravary@quebecorme­dia.com @liseravary

J’ai toujours voué un culte à Chuck Berry, un des pionniers du rock. On lui doit, entre autres classiques, la chanson Johnny B. Goode et Roll over Beethoven, mon premier disque des Beatles, acheté en 1963. Et puis, le plus important pour moi, il a forgé la personnali­té musicale des Rolling Stones.

Un jour, j’ai appris que c’était un salaud. En 1960, il s’est enfui avec une adolescent­e de 14 ans. Il a pris trois ans dans une prison fédérale. En 1990, il a ouvert un restaurant dans le Missouri, son état natal. Il a installé des caméras dans la toilette des femmes. Il s’est fait prendre. Près de 60 femmes ont amorcé un recours collectif. L’affaire lui a coûté très cher.

Quand il est décédé à 90 ans en mars dernier, les éloges ont fusé de toutes parts, incluant celles de Barack Obama. Pas un mot sur ses déviances, pourtant connues, et sur le sens de son hit Sweet little sixteen.

DILEMME PERPÉTUEL

L’autre soir, la CBC faisait tourner ses plus grands succès. J’ai réalisé que j’avais moins de plaisir à les entendre qu’autrefois. Ce qui ne m’a pas réjouie, au contraire. Je pensais n’avoir aucun problème à séparer la personne de l’oeuvre. Je n’ai pas abandonné John Lennon parce qu’il battait sa femme Cynthia ou Elvis parce qu’il sortait avec Priscilla âgée de 14 ans alors que lui en avait 24. Dans les années 1970, David Bowie fréquentai­t — sexuelleme­nt — les baby groupies : une bande de groupies mineures de Los Angeles. Va-t-on mettre l’oeuvre de Bowie aux poubelles pour autant ? Weinstein disait à sa défense que les choses étaient différente­s à cette époque. C’est vrai, mais en partie seulement : elles étaient différente­s pour les riches et célèbres. En parlant de Weinstein, cette affaire a réveillé ce débat. Pulp fiction est-il moins un chef d’oeuvre parce que son producteur est un salaud ? Allez-vous « désaimer » Mary Poppins à cause des gestes allégués de Gilbert Rozon? Que dire des films de Woody Allen ? Minuit à Paris est-il moins fantasmago­rique parce son tordu de réalisateu­r a fait des choses terribles ? Sans oublier le cas Polanski.

LES SALAUDS SONT PARTOUT

Chez les écrivains, je suis incapable de lire Céline, un immense auteur, mais antisémite à l’os. Wagner, toutefois, le compositeu­r préféré d’hitler, passe comme du petit lait. Allez savoir. Je n’ai par contre jamais compris le culte du marquis de Sade chez certains intellectu­els, dont Simone de Beauvoir, et je m’étonne toujours qu’il soit vendu en livre de poche. C’est é-pou-van-ta-ble. Ses récits, d’une indicible cruauté, avaient un fondement dans sa vie, y compris la torture de fillettes. Même les prostituée­s portaient plainte à la police à cause de ses perversion­s. Au XVIIIE siècle! En conclusion, laissez-moi justement citer les paroles d’une chanson que je ne peux pas blairer : C’est une question de feeling. Il n’y a pas de réponse unique ni même explicable. Il ne faut pas se casser la tête ou se saigner le coeur. L’homme est indissocia­ble de l’oeuvre.

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PHOTO COURTOISIE Quand Elvis Presley a rencontré sa future épouse, Priscilla Beaulieu, en 1959, elle n’avait que 14 ans.
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