Des jeunes plus forts qu’on croit
Une histoire toute simple peut porter bien des histoires qui font chavirer le coeur. Naomi Fontaine nous le fait vivre avec talent, en se remémorant l’enseignante qu’elle a été en terre innue, sur la Côte-nord.
Naomi Fontaine a enseigné pour vrai dans la réserve de Uashat, à l’école qui donne son titre à son dernier roman, Manikanetish. Les élèves dont elle parle existent aussi, tout comme ce qu’ils ont vécu. Détails et prénoms ont été modifiés, mais sous le vocable « roman », la réalité est restée.
Et ce qui reste, c’est un portrait qui, par petites touches, finit par dessiner une communauté. Celle-ci est bien plus résistante que ce que nous croyons. Même plus forte que ce que la narratrice et enseignante, Yammie, avait envisagé, pourtant Innue elle-même.
C’est d’ailleurs le regard de Yammie qui fait toute la force de ce court récit, lui-même divisé en très courts chapitres, tous annoncés par un motclé : « Le cours », « Sortie éducative », « Mélina », « Mikuan », « Marc »…
RÉSERVE OU COMMUNAUTÉ ?
Yammie a le pied à la fois dans et hors de la réserve. Elle y est née, en est partie enfant, et son retour comme enseignante la plonge dans un univers à la fois familier et distant. Mais elle ne manque pas de belles intentions, dont celle d’apprendre aux jeunes « comment on défait cette clôture désuète et immobile qu’est la réserve, que l’on appelle une communauté que pour s’adoucir le coeur ».
Mais la réserve porte en soi un monde que l’enseignante ne pourra ignorer. Marc, par exemple : toujours absent celui-là ! Assez pour qu’un matin, devant sa chaise vide, Yammie y aille d’un petit laïus à la classe sur l’importance de commencer par être présent si on veut réussir à l’école. « Ben voyons, madame, l’interrompt une élève. Tu sais pas qu’il est parti à Québec. Sa mère est malade et elle va peut-être mourir. »
TENIR LE COUP
Non, elle ne savait pas ce que tout le monde savait. Et à mesure que les jours avancent, à mesure qu’elle sera confrontée aux « Ben voyons madame », elle découvrira les mères de sa classe, les familles éprouvées par des drames, le racisme dès qu’on sort de la réserve… Et alors elle verra le soutien que tous ces jeunes, tellement sous-estimés, se donnent entre eux pour arriver malgré tout à tenir le coup.
Le récit culmine avec une représentation théâtre d’un texte de Pierre Corneille, Le Cid, jouée par les élèves. C’est une belle finale : grâce à l’art, la clôture de la réserve est sautée; grâce à la performance de ses élèves, Yammie lève ses dernières barrières, et nous avec. L’espoir n’a pas dit son dernier mot.