Un homme premier-ministrable
L’homme a de multiples chapeaux. On se souvient de lui comme le premier député élu du Bloc québécois, en 1993, puis comme chef du Bloc en 1997. Son père, Jean Duceppe, est de la génération des Félix Leclerc. Au-delà de leurs talents respectifs, ils ont marqué le Québec par leur engagement en faveur d’un Québec souverain. Leclerc par sa chanson de l’alouette en colère, et Duceppe par son discours patriotique lors de la Fête nationale du Québec, à l’île Sainte-hélène, devant 300 000 personnes, en juin 1990 : « Le Québec est notre seul pays ».
L’histoire de Gilles Duceppe gagne à être connue. Aîné d’une famille de sept enfants, dont les origines, du côté maternel, sont irlandaises, il a passé une bonne partie de son enfance dans le quartier Hochelaga-maisonneuve, qui à l’époque « n’est pas encore un quartier pauvre. Ouvrier, mais pas pauvre ». C’était avant les nombreuses fermetures d’usines, survenues dans les années 1970. Plusieurs artistes y vivent, dont Jean Duceppe, comédien fort populaire, père autoritaire et colérique, craint des enfants du voisinage. Gilles héritera de plusieurs traits de caractère de son père : « Soupe au lait, excessif à l’occasion, acceptant mal d’être contredit, sanguin impatient. » Mais il n’hésite jamais à s’excuser s’il a dit un mot de trop.
PHASE MARXISTE-LÉNINISTE
« Pour bien comprendre une plante, il faut connaître son terreau », affirme le biographe. Celui de Gilles Duceppe est propice aussi bien à la bagarre qu’à la solidarité. Les ruelles, le terrain de jeu des jeunes du quartier, jouaient un grand rôle à cette époque. On y faisait l’apprentissage de la vie, on y commettait ses premiers mauvais coups et on s’émancipait de l’autorité parentale. C’est là « que se nouent des alliances à vie, où se règlent des conflits d’honneur ». Le jeune Gilles en culottes courtes s’y affirmait déjà comme un gagnant en donnant son 110 % au hockey-bottines. C’est dans ce quartier que Gilles connaîtra sa première épouse, Yolande, et que le couple élèvera leurs deux enfants.
Gilles quitte l’école primaire pour le cours classique au collège du MontSaint-louis, rue Sherbrooke Est, tout près du boulevard Saint-laurent. Entre deux joints et deux occupations de cégep, de nouvelles amitiés naîtront, avec, entre autres, Pierre-paul Roy, Bob Dufour et l’anthropologue Serge Bouchard. On discute fort aussi bien à la taverne du coin que sur le terrain de football américain. Dès 1970, lors de la première campagne électorale du Parti québécois, il sera aux côtés de Robert Burns, dans cette circonscription qui l’a vu naître, Maisonneuve. Burns sera parmi les sept premiers élus péquistes.
Mais une certaine jeunesse bien instruite n’échappe pas à ce fantôme qui parcourt le monde. Gilles aura sa phase marxiste-léniniste, aux côtés de Pierre Karl Péladeau, entre autres, allant jusqu’à abandonner ses études pour se faire prolétaire, à l’hôpital Royal Victoria où il côtoie la misère humaine. C’est là qu’il livrera ses premiers combats comme syndicaliste, tout en prenant ses distances du PQ, parce que « les ML pis le PQ, ça marchait pas ben ben », rappelle Bob Dufour, débardeur de métier, qui deviendra stratège d’organisation, chef de cabinet de Gilles, directeur du Bloc québécois puis du Parti québécois, dirigeant les opérations depuis sa taverne de la rue Ontario, près du « faubourg à m’lasse ».
« CHEVEUX BLANCS À LA DUCEPPE »
À travers le cheminement de Gilles Duceppe, c’est un pan de notre histoire militante récente qu’on redécouvre. Cet homme intègre comme il s’en trouve peu, surtout par les temps qui courent, est un redoutable débatteur, doté d’une mémoire phénoménale. À l’heure où le Parti québécois est en perte de vitesse, l’arrivée de ce politicien expérimenté à la direction de ce parti ne serait que bénéfique à la cause souverainiste. « Le renouvellement politique ne doit pas nécessairement passer par la jeunesse, affirme la sociologue Myrlande Pierre. Des cheveux blancs à la Duceppe pourraient mieux rassembler les gens que les jeunes loups un peu trop ambitieux… »
On termine cette biographie en se disant que Gilles Duceppe demeure en réserve de la République, comme disent les Français, et qu’il n’attend qu’un signe…