Le Journal de Quebec

Ne grondez pas les petits enfants

- DENISE BOMBARDIER denise.bombardier@quebecorme­dia.com

Au Québec, les enseignant­s doivent désormais faire gaffe. En fait, ils ont intérêt à ne pas gronder un jeune mal élevé, à taire des remarques désobligea­ntes sur la paresse d’un élève flemmard et à mettre en toutes circonstan­ces des gants blancs pour s’adresser aux étudiants de la génération enfants-rois.

Gilbert Sicotte vient de payer le prix de sa compétence fougueuse et de sa passion d’amener les futurs acteurs à un dépassemen­t d’eux-mêmes. Il ne pratique pas la langue de bois devant des cancres qui veulent qu’on les cajole et leur dise qu’ils sont géniaux. Ils se considèren­t comme le nombril du monde même si leur cordon ombilical n’est pas encore séché.

Il fallait s’attendre à un dérapage, dont Gilbert Sicotte est aujourd’hui la victime expiatoire. Ma consoeur Sophie Durocher parlait hier de chasse aux sorcières. Dénoncé dans un long reportage télé à RadioCanad­a par un groupe d’étudiants du Conservato­ire d’art dramatique de Montréal pour ses manières d’enseigner, le célèbre acteur a été suspendu.

On ne forme pas des artistes dans la ouate.

DÉNONCIATI­ONS

Ce n’est pas d’hier que l’on dénonce des enseignant­s compétents à la personnali­té forte, qui traitent leurs élèves avec maturité et non comme de petits êtres fragiles à flatter dans le sens du poil.

Trop de Québécois considèren­t comme injuste et socialemen­t inacceptab­le l’évaluation des élèves. La preuve en est que l’abaissemen­t des notes de passage se poursuit depuis des années. Certains prônent même l’abolition des bulletins.

Gilbert Sicotte, emporté par la fougue de son art, semble plus exigeant qu’une partie de ses collègues. Il pratique à sa manière, peut-être rugueuse, l’art si cher à Socrate d’accoucher les esprits.

Malheureus­ement pour lui, enseigner est devenu périlleux. Car non seulement les jeunes peuvent dénoncer leur professeur, mais les parents, selon le principe que le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre, sont prompts de nos jours à foncer à l’école pour exiger des explicatio­ns, voire des sanctions contre ceux qui malmènent leurs rejetons paresseux, impolis et agressifs.

DÉLATION

La dénonciati­on de conduites sexuelles inacceptab­les à travers le mouvement actuel de victimes trop longtemps silencieus­es entraîne de plus en plus de délations de tous genres. Cela est inévitable puisque l’envie, le ressentime­nt, la cruauté des faibles et la vengeance, ces émotions tristes chez l’être humain, se dévoilent dans le sillage du phénomène actuel.

Nous ne sommes pas dans le même cas de figure avec Gilbert Sicotte. Il faut plutôt constater que Big Brother étend son bras pour museler la pensée, pour aseptiser les libres-penseurs et casser les enseignant­s avides de pousser leurs étudiants dans leurs derniers retranchem­ents, aux limites de leur propre dépassemen­t. Former des artistes ne se fait pas dans la ouate, mais dans l’inconfort, la frustratio­n et l’échec momentané, et parfois dans des cris qui viennent du coeur et non d’un désir pervers.

Le jour où il n’y aura plus de Gilbert Sicotte, tout le monde sera beau et gentil et parlera sur le ton des voix délavées et inhumaines de nos GPS et autres robots « intelligen­ts ».

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Gilbert Sicotte

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