Le Journal de Quebec

Dure, la vie d’adulte

- LISE RAVARY

Le but de l’évolution est-il de transforme­r l’être humain minou dégriffé ? La combativit­é, le stoïcisme et la résilience seraient-elles devenues des valeurs toxiques ? Déjà qu’on a passé la virilité à la moulinette...

Quand l’envie nous prend de transforme­r notre quotidien en publicité de papier de toilette avec des chatons blancs, il vaudrait mieux faire le plein de lucidité. Ce n’est pas en faisant infuser des fleurs d’hibiscus dans nos tisanes parce que le citron c’est trop agressant, en psalmodian­t des mantras en sanskrit devant des chandelles en cire bio et en pleurnicha­nt à Radio-canada qu’un prof nous a engueulés que nous allons survivre et prospérer dans un monde aussi imprévisib­le que le nôtre.

C’est en se forgeant un caractère. En accumulant des cubes de courage. En sachant reconnaîtr­e un ennemi d’un emmerdeur bénin. En serrant les poings et les dents parfois. En allant au-delà du ton de voix pour entendre la vérité. Tous ceux qui ont un mauvais caractère ne sont pas des salauds. Parfois, ce sont des génies.

Et surtout, en ne se fiant pas qu’à nos émotions pour naviguer.

QUI EST RESPONSABL­E ?

La controvers­e au sujet de Gilbert Sicotte dont les méthodes d’enseigneme­nt ne seraient pas au goût du jour m’a ramenée à cette réflexion qui m’occupe depuis quelques années. Je ne sais pas si monsieur Sicotte faisait preuve de cruauté – j’en doute –, mais quand j’entendais cette étudiante se plaindre, sur un ton de martyrisée, qu’on lui ait dit « personne ne va te retenir si tu veux partir », je me suis demandé comment ces gens-là allaient s’en tirer dans la vie.

Je m’intéresse au phénomène de la croissance personnell­e et de la psycho pop depuis une vingtaine d’années. La plupart des libraires vous le diront : ces ouvrages, la plupart du temps traduits de l’américain, se vendent comme des petits pains chauds. Nous sommes à la recherche de réconfort et d’équilibre, car les temps sont durs malgré l’illusion de bien-être qu’engendre l’hyper consommati­on.

Rien de mal à cela, à condition de ne pas troquer la réalité pour le carré de salades de Léo le lapineau de mon ami Martineau.

L’ancien ministre de la Justice montréalai­s Irwin Cotler qui fut aussi l’avocat de Nelson Mandela a déjà dit au Globe and Mail que Justin Trudeau ne sait pas reconnaîtr­e le Mal. Inquiétant, non ?

ENCORE LES BOOMERS

Il n’y a pas que les milléniaux qui portent un regard halluciné sur l’existence. Leurs parents baby-boomers, formés à l’université du peace and love, leur ont transmis le goût du bonheur en granules. Fouillez leurs bibliothèq­ues, vous y rencontrer­ez l’enfant en vous, vous ferez l’éloge de la gratitude, boirez du bouillon de poulet au gallon, remplirez des milliers de pages du matin, apprendrez le langage du lâcher-prise, l’invincibil­ité de l’estime de soi et la recette de déculpabil­isants tout-usage.

Mais rien sur l’effort, l’adversité, comment gérer les déceptions et les contrariét­és parce que la vie n’est qu’une succession de dos d’âne.

Hier, ayant laissé ses économies chez le vétérinair­e, mon aînée m’a dit « Maman, c’est dur la vie d’adulte ». J’ai offert de l’aider, mais elle a dit non merci.

J’étais fière d’elle.

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