Le Journal de Quebec

Pris en cible par un des pires tueurs à gages

Bertrand Duchaine a survécu à deux reprises aux balles tirées par Gérald Gallant

- Éric Thibault l ∫ Ethibaultj­dm

Bertrand Duchaine a été la cible de deux tentatives de meurtre perpétrées par l’un des pires tueurs à gages de l’histoire du Québec. Gérald Gallant l’a atteint de quatre projectile­s d’arme à feu sans toutefois parvenir à l’achever. Son frère aîné fut aussi la dernière victime de Gallant, le délateur qui s’est reconnu coupable de 28 meurtres en 2009. Aujourd’hui, Duchaine craint encore pour sa vie parce que l’un des hommes qui ont mis sa tête à prix est sorti du pénitencie­r. Le

Journal relate les détails de cette histoire inédite, telle que racontée par le survivant et par le tireur.

« Y faut… Y faut absolument qu’il tombe. Ça presse… »

Dans une salle d’interrogat­oire au quartier général de la Sûreté du Québec (SQ), Gérald Gallant révèle en bégayant qu’on lui avait mis « de la pression » pour qu’il élimine Bertrand Duchaine, au printemps de 1990.

– Tout le monde l’appelait « Bébé » Duchaine, lui fait remarquer l’enquêteur Pierre Frenette lors d’un interrogat­oire vidéo obtenu par Le Journal.

– Bébé, oui, acquiesce le tueur à gages qui a confessé pas moins de 28 meurtres et 12 tentatives de meurtre, après avoir accepté de devenir délateur en 2006.

FAMILLE DE DURS

Alors âgé de 30 ans, Bertrand Duchaine avait été surnommé ainsi parce qu’il était le cadet d’une famille de durs qui ont eu maille à partir avec la police dans la région de Québec.

Son frère Pierre, avec qui il a déjà été condamné pour vol, a été abattu lors d’une opération policière en 1982.

Quant à son frère Christian, on le surnommait « Le Prince » dans le milieu interlope.

D’après l’enquête policière appelée « Baladeur », celui-ci était impliqué dans le trafic de stupéfiant­s avec un dénommé Roger Marceau.

« Christian venait de se faire prendre [par la police] dans un réseau, a expliqué Bertrand Duchaine en entrevue au Journal. Moi, je lui ai jamais rien fait, à Marceau. Je voulais plus rien savoir de ce milieu-là. Je venais de me trouver un emploi dans la constructi­on. »

POURQUOI ?

Gallant avait commencé sa carrière de tueur à gages en 1980 lorsqu’il a abattu un trafiquant sur la Côte-nord à la demande de Raymond Desfossés, un membre influent du gang de l’ouest dont il avait fait la connaissan­ce en prison.

Le tueur de Donnacona, qui travaillai­t comme boucher, avait déjà fait six victimes quand le lieutenant du caïd Desfossés dans la région de Qué- bec, Raymond Bouchard, l’a appelé. – Il m’a dit que Roger Marceau voulait faire tuer Bertrand Duchaine, précise le délateur. – Mais vous saviez pas pourquoi ? demande l’enquêteur Frenette. – Non, répond Gallant, qui ne posait jamais de questions sur les motivation­s de ses employeurs. Les raisons du contrat mis sur la tête de Duchaine ne seront d’ailleurs jamais établies par les policiers dans leurs rapports d’enquête auxquels Le Journal a eu accès.

MAUVAIS FEELING

« Je me souviens que Bouchard me l’avait montré en personne, a dit Gallant au sujet de sa cible. Une face de boxeur. Ce monsieur-là se tenait au bar Le Pichet. »

Gallant s’est ensuite rendu « une couple de fois » dans ce bar qui était situé sur le boulevard Sainte-anne, dans le secteur Beauport.

« J’aimais pas tellement cette placelà, a-t-il précisé à la SQ. J’ai vu de mes propres yeux qu’il y avait beaucoup de transactio­ns de drogue qui se faisaient là. Ça attire les policiers. Mais bon. Il fallait que je trouve un moyen de le faire. »

Le 20 avril 1990, vers 20 h, Gallant entre au Pichet vêtu d’une chemise à carreaux rouge et noire, d’un jean, et coiffé d’une casquette, ont déclaré plusieurs témoins à la police.

Il aperçoit sa cible à l’étage alors que le bar se trouve au rez-de-chaussée. Il commande une bière pour faire comme les autres clients, même s’il n’aime pas cette boisson alcoolisée.

SUBTERFUGE

« Je l’ai vu comme y faut, a relaté le tueur. Mais aller le faire au deuxième [étage], c’était pratiqueme­nt impossible. J’étais seul, il fallait que je redescende et c’était plein de monde en bas. »

Il y avait un téléphone public – une relique de l’époque précellula­ire qu’il fallait alimenter d’un 25 sous pour pouvoir faire un appel – près des toilettes au rez-de-chaussée. Et le téléphone du bar était fixé au réfrigérat­eur situé derrière le barman, sur le même plancher.

« Je me suis dit : pourquoi je l’appellerai­s pas au premier plancher pour le faire descendre ? Alors j’ai appelé et j’ai demandé à parler à “Bébé” Duchaine. Je l’ai dit sans aucune hésitation », s’est souvenu Gallant, en laissant entendre qu’il a contrôlé son bégaiement à ce moment-là.

Le waiter, un dénommé Dufour, lui a dit de patienter un instant pendant qu’il allait chercher Duchaine en haut.

« MAGANÉ »

« J’ai répondu et tac ! J’ai reçu une première balle dans le doigt [auriculair­e droit] de la main qui tenait le téléphone. C’est ça qui m’a sauvé la vie. Sinon, je l’avais dans la tête », a relaté Bertrand Duchaine, qui s’en souvient comme si c’était hier, en mimant la scène.

« Là, je me suis reviré de bord et j’en ai reçu une autre icitte [poignet gauche], puis une autre direct dans l’épaule. Je suis tombé à terre. Il a hésité pis là, il a pris la porte », a poursuivi la victime en montrant où les projectile­s l’ont touché.

Sa mère, Marthe Gagné, était assise au fond du bar quand elle a entendu les coups de feu. Elle a d’abord cru que c’était « des pétards ». Quelqu’un lui a dit que son fils s’était fait tirer.

« Je me souviendra­i toujours du visage de ma mère qui me regardait pendant que j’étais à terre, en sang. J’étais magané », a dit ce dernier.

PAS UNE CENNE

En fuyant le bar, Gallant savait déjà qu’il avait « manqué » son coup.

« J’avais pas un bon angle [de tir] parce qu’y avait du monde autour, a-t-il dit au sergent Frenette 16 ans plus tard. J’étais entouré de personnes. Alors j’ai pas insisté. Je suis sorti. »

Le tueur à gages s’est enfui au volant de sa propre voiture, qu’il avait garée sur une rue à proximité. Il a jeté son arme de poing aux abords de la rivière Saint-charles, à Québec, puis il a changé de vêtements avant d’aller prendre un café dans un restaurant.

« Trois ou quatre minutes après, il y a une voiture de police qui est arrivée. Deux policiers sont rentrés prendre un café, assis une couple de tables à côté. Je suis retourné chez moi », a déclaré Gallant lors de cet interrogat­oire vidéo.

– Avez-vous été payé ? l’interroge l’enquêteur Frenette. – Non, répond timidement le délateur. – Pas une cenne ? Parce que vous aviez manqué votre coup ? – Ouin… Roger Marceau n’a jamais été accusé d’avoir commandité ce crime. Il était déjà incarcéré pour meurtre quand Gallant s’est fait arrêter en 2006.

LAISSER ÇA MORT...

Quelques heures après avoir été transporté à l’hôpital de L’enfantJésu­s, Bertrand Duchaine a brièvement été interrogé par le sergent détective Hugues Bernier, qui ne l’a pas trouvé loquace.

« Il dit n’avoir rien vu au sujet du tireur […] et n’avoir aucune idée pourquoi il aurait été tiré », écrit le policier dans un rapport.

– Pis à partir de ce moment-là, y se passe quoi ? demande le sergent Frenette à Gallant.

– Ils m’ont dit de laisser ça mort un p’tit bout de temps, a dit le délateur.

– Avec la collaborat­ion de Félix Séguin, Bureau d’enquête

 ??  ?? logés dans le Des projectile­s se sont à bières. téléphone et le réfrigérat­eur RAYMOND BOUCHARD Condamné
logés dans le Des projectile­s se sont à bières. téléphone et le réfrigérat­eur RAYMOND BOUCHARD Condamné
 ??  ?? Le bar Le Pichet, le soir du 20 avril 1990. La victime répondait au téléphone quand trois balles l’ont atteinte. Sectionné dans la fusillade, le combiné du téléphone est tombé derrière le bar, dans les bouteilles vides. Le téléphone public duquel...
Le bar Le Pichet, le soir du 20 avril 1990. La victime répondait au téléphone quand trois balles l’ont atteinte. Sectionné dans la fusillade, le combiné du téléphone est tombé derrière le bar, dans les bouteilles vides. Le téléphone public duquel...

Newspapers in French

Newspapers from Canada