Le Journal de Quebec

Français : ne pas lâcher

- antoine––robitaille@quebecorme­dia.com

Avec les difficulté­s auxquelles fait face le français, la posture du catastroph­isme, voire de la démission, se porte bien au Québec. Trop bien.

Je vous mentirais si j’affirmais être totalement optimiste quant à l’avenir du français chez nous. Il y a quelque chose de déprimant actuelleme­nt qui se dégage de nombreux phénomènes. Le #mononc101 que je suis s’inquiète.

La dernière semaine n’a rien fait pour me rassurer.

On a notamment pris connaissan­ce des constats de la Vérificatr­ice générale du Québec sur l’inefficaci­té quasi absolue des mesures de francisati­on des immigrants.

Douloureux et rageant, quand on pense aux discours lénifiants que nous servent depuis des lunes les ministres responsabl­es, au premier chef Kathleen Weil. Au fond, ce que la VG a mis en lumière mercredi, c’est l’échec de la ministre et des gouverneme­nts libéraux auxquels elle a appartenu.

ADIDAS ET AUTRES

Déprime aussi – et colère – en prenant connaissan­ce, grâce à la sagacité de notre collègue Philippe Orfali, de l’anecdote du magasin Adidas, à Montréal, où un gérant francophon­e a voulu « accommoder » les francos avec quelques mots dans la langue des membres de la tribu locale... avant de passer à la langue « sérieuse », l’anglais.

Simple anecdote, certes, mais qui fait penser à ces canaris qu’on emmène dans les mines de charbon : lorsqu’ils arrêtent de chanter, on comprend qu’un coup de grisou s’en vient.

Déprimant de constater aussi que, pour plusieurs au Québec, comme ailleurs dans la francophon­ie, la mondialisa­tion n’est envisageab­le qu’en anglais.

Plusieurs jeunes membres de l’élite du Québec semblent avoir tellement mis l’accent sur l’apprentiss­age de l’anglais langue seconde dans leurs études qu’ils en ont oublié de s’approprier correcteme­nt leur langue maternelle.

« La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert », disait André Malraux. Il en va de même de la langue. Et lorsqu’on écoute les Justin Trudeau, Mélanie Joly et combien d’autres, on a ce sentiment : le sabir qui tient lieu de français chez eux découle d’une traduction bâtarde de l’anglais.

Nulle surprise que leurs déclaratio­ns politiques en français suscitent si souvent de l’incompréhe­nsion.

L’école québécoise contempora­ine n’aide pas. La saine préoccupat­ion pour la maîtrise de l’anglais langue seconde s’est muée en véritable obsession. Et pour le français, « on donne aux jeunes la parole avant de leur avoir donné la langue », selon la formule géniale d’alain Finkielkra­ut.

J’aurais pu citer plusieurs autres phénomènes déprimants. Mais je m’arrêterai ici.

LES LIMITES DE L’ÉTAT

Car il faut se garder de noircir excessivem­ent le tableau. Le français au Québec est loin d’être foutu. Cette langue internatio­nale, au patrimoine si riche, aux quelque 250 millions de locu- teurs, a encore de très belles possibilit­és devant elle. Chez nous, elle a une histoire, des institutio­ns, des citoyens qui en sont passionnés.

Bien que moins efficaces qu’à une autre époque, les protection­s de la loi sont toujours là. J’ai toutefois l’impression qu’elles ne peuvent plus constituer l’unique obsession du combat.

L’état a beaucoup fait pour le français depuis 150 ans au Québec. (L’église catholique aussi, mais c’est presque devenu tabou de le dire. Même si on le souhaitait – mais on ne le veut plus, avec raison –, cette dernière ne peut plus faire grand-chose en matière de langue française.)

L’état peut encore beaucoup, mais on ne peut plus compter sur l’état seul. Surtout quand il y a à sa tête un gouverneme­nt libéral qui semble s’en foutre. Quand on pense à l’attachemen­t profond au français de grands personnage­s de l’histoire de ce grand parti (qui souligne ses 150 ans aujourd’hui à son congrès à Québec), on ne peut qu’être triste. Songeons seulement à GeorgeÉmil­e Lapalme, Claude Ryan et Robert Bourassa.

En marge de l’état et de la loi donc, le monde associatif, fait de citoyens qui décident de prendre les choses en mains, pourrait relancer le combat pour le français. Tous ceux qui se disent inquiets pour l’avenir du français à Montréal et au Québec devraient se sentir concernés et penser à des manières de l’aider, de le transmettr­e.

Lançons une idée : imaginez si des cohortes de nouveaux retraités francophon­es, lesquels se multiplien­t actuelleme­nt, décidaient, eux, de s’organiser pour enseigner le français aux immigrants !

Vous riez ? Avez-vous d’autres idées ? Parce qu’à la fin, se centrer uniquement sur les motifs de déprime sape l’attraction d’une langue et ne peut que précipiter le phénomène redouté.

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L’échec de la francisati­on des immigrants que la Vérificatr­ice générale a mis en lumière cette semaine est d’abord celui de Kathleen Weil et des gouverneme­nts libéraux.

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