Trouver un équilibre
LA LÉGALISATION DU CANNABIS DOIT PERMETTRE D’INVESTIR EN PREMIER LIEU EN PRÉVENTION AINSI QU’EN TRAITEMENT DES DÉPENDANCES ET DES TROUBLES DE SANTÉ MENTALE. – Stéphanie Godin
L’orignal tatoué, café de rue, a pour mission de venir en aide aux jeunes marginalisés de 16 à 30 ans en leur offrant un lieu d’appartenance dans le but de briser l’isolement et de permettre une réinsertion sociale. Oeuvrer auprès de ces jeunes au quotidien me porte à me prononcer pour la légalisation du cannabis.
La criminalisation n’est assurément pas l’avenue à adopter auprès des jeunes. Si nous souhaitons sensibiliser les jeunes aux risques liés à la consommation de cannabis, je demeure convaincue qu’il faut utiliser un levier autre que celui de la prohibition. La légalisation évitera également de judiciariser des personnes qui font un usage récréatif et contrôlé du cannabis.
Qui dit sensibilisation, dit prévention. La future agence de l’état, élégamment nommée Société québécoise du cannabis, doit impérativement miser sur la promotion de la santé plutôt que sur le profit.
Surtout, la légalisation du cannabis doit permettre d’investir en premier lieu en prévention ainsi qu’en traitement des dépendances et des troubles de santé mentale. Depuis 10 ans, l’état québécois a sans cesse diminué les budgets alloués à la prévention. Il est grand temps de renverser la vapeur.
MANQUE DE TEMPS
Le gouvernement du Québec a mené des consultations sur cette question pendant la période estivale. Pour un organisme comme l’orignal tatoué, il n’était pas aisé de participer efficacement à ces consultations : fin d’année financière, bilans, petite équipe, vacances, etc. On parle ici de raisons d’ordre logistique. Malheureusement.
Plus important encore, il nous aurait fallu prendre position rapidement, sans toutefois avoir le luxe du temps et de la réflexion. Je salue nos collègues du Regroupement des Auberges du coeur qui ont mené cette démarche sérieusement, malgré les délais impartis. [On peut trouver les conclusions sur : Mémoire RACQ Cannabis.]
Il n’est évidemment pas aisé de traiter succinctement de l’ensemble des enjeux entourant cette question. Or, il faut cesser de diaboliser la consommation de cannabis. Devant les effets néfastes de la prohibition et les vertus thérapeutiques et récréatives du produit, plusieurs groupes militent en faveur de la légalisation depuis des décennies.
ENTRER EN CONTACT
Pour l’orignal tatoué, l’adoption du projet de loi 157 ne devrait pas avoir d’incidence majeure sur nos pratiques.
À l’heure actuelle, les jeunes qui fréquentent notre ressource peuvent se présenter en état de consommation, pourvu qu’ils respectent l’ambiance et les valeurs du Café, ce que nous appelons le « break de rue ». C’est notre façon d’entrer en contact avec eux, de bâtir une relation de confiance et de construire les assises d’une véritable réinsertion sociale. Nous travaillons dans une approche de « réduction des méfaits » qui a déjà fait ses preuves.
Par contre, nous sommes intransigeants face à la promotion, l’organisation et la consommation de substances psychoactives sur les lieux. Aucun échange n’est toléré au Café. Candidement, je crois que la légalisation du cannabis n’imposera pas davantage de défis que ceux auxquels notre organisme est déjà confronté. Quoi qu’il advienne, nous continuerons à accompagner les jeunes, à faire de la prévention et à leur fournir le maximum d’informations et d’outils.
MEILLEUR CONTRÔLE
Il est vrai qu’il faut se préoccuper de la qualité et de la pureté des drogues, ainsi que des effets d’une consommation précoce sur le cerveau. Néanmoins, actuellement illégal, le cannabis attire tout de même les jeunes et il est facile pour eux de s’en procurer.
Si la légalisation doit permettre un meilleur contrôle de la qualité, elle ne pourra pas à elle seule protéger les jeunes des méfaits de la consommation abusive. D’où l’importance de la prévention, mais aussi de l’encadrement et du soutien parental, scolaire et social, sur lesquels on pourrait écrire tout un chapitre.
Notre société doit miser sur l’information, la prévention et la réduction des méfaits, de façon que les jeunes puissent prendre des décisions éclairées et responsables quant à leur consommation, qu’il s’agisse de tabac, d’alcool, de médicaments ou de drogues. L’unique différence entre ces produits est l’acceptabilité sociale dont ils bénéficient respectivement.
Pour que la légalisation du cannabis puisse remplir ses promesses, il faudra donc s’assurer d’une chose : que les jeunes qui consomment du cannabis trouvent facile et attrayant de se procurer le produit légalement. L’état devra miser sur un équilibre – pas si aisé à atteindre – entre les contraintes d’accès et la facilité d’approvisionnement.
Ainsi, le système d’approvisionnement mis en place par le gouvernement devra offrir une plus-value s’il veut constituer une solution de rechange viable au marché illicite. C’est sur ce point que le projet de loi 157 devra innover.