L’ÎLE EN AUTOMNE
En automne, plusieurs personnes mettent leurs voyages à off, ou n’envisagent que la chaleur comme critère de destination.
Voici pourquoi l’île-du-princeÉdouard, plus petite province du Canada, mérite d’être prise en considération, alors que la saison automnale couche une brume sur les routes et que l’océan se mêle aux couleurs flamboyantes des arbres. Je me trouve à l’île-du-princeÉdouard depuis un mois, et ce coin de mon pays s’est déjà ancré en moi.
TERRE DE VENT ET DE MER
Rares sont les journées sans vent. Peut-être est-ce lui qui souffle sur l’île ce sentiment de magie.
Comme une autre dimension, bercée doucement. Il semble que le vent ralentit les horloges et les montres. Une fois ici, il faut réajuster son rythme et réaligner ses battements de coeur.
Où que tu regardes, que ce soit les champs de pommes de terre, les prés bordés de lupins, on sait qu’au loin, c’est la mer. C’est un sentiment étrange que d’être emprisonné par l’océan.
L’île est le meilleur endroit pour lire et pour recevoir des lettres, parce que même s’il fait froid, tu peux prendre une couverture, un gilet géant, une petite tuque, et aller t’installer sur une plage à 15 minutes, puis laisser les mots te bercer avec les vagues. Malgré le gris de l’eau, malgré le ciel parfois gris-rose, les vagues de L’ÎPÉ, il me semble, ont quelque chose de profondément présent.
FRANCO
Non, ce n’est pas un mythe : les gens ici sont si gentils que même aujourd’hui, je me demande où est le piège. Coincés entre quatre eaux, peut-être est-ce un trait inévitablement développé. Malgré ma langue française, jamais je ne me sens exclue, différente, pointée, ou ne devant pas être là. Les insulaires acceptent et intègrent sans borne.
Une belle communauté de francophones est rassemblée autour d’activités organisées par le Carrefour de l’isle-saint-jean, que ce soit par des ateliers d’écriture créative, des 5 à 7 ou des cours de gigue. Ce centre, situé à l’école française François-buote, regorge d’idées foisonnantes pour faire briller la langue de Nelligan et rassembler la partie francophone du Canada rassemblée dans l’île. Beaucoup d’enfants apprennent le français dans les écoles primaires et secondaires d’immersion, en plus de quelques étudiants de l’university of Prince Edward Island, qui suivent soit un cours, soit un programme pour l’enseigner.
LA NATURE INSULAIRE
Il y a des beautés cachées à L’ÎPÉ, comme si d’un commun accord, tous les habitants préservaient ses secrets d’un nombre trop grand de traces humaines. Les Thunder Cove, c’est tout au fond d’une plage à l’ouest de Cavendish, accessible par une petite route facilement invisible. Mais Thunder Cove, c’est les tonnerres de l’océan et du Canada. De magnifiques cratères-oeuvres d’art ornent les rochers vermeils, formant des grottes rondes, lisses et poreuses.
Thunder Cove est l’endroit idéal où se cacher un instant ; du moins, c’est un
environnement propice à la venue de ce sentiment d’exister intensément, installé à un quelconque bout du monde.
À Dalvay-by-the-sea, tout au nord de Charlottetown, il y a quelques sentiers cachés, dont un petit pont de lattes de bois au milieu d’arbres denses, qui soudain mène à la plage. Dans ce parc national de l’île-du-prince-édouard, je me suis laissé émerveiller par la beauté fluctuante des sentiers Farmlands et Bubbling Springs.
L’un traverse d’anciens champs envahis de forêts, l’autre permet une observation tranquille d’oiseaux migrateurs, de renards roux et de hérons autour de l’étang. À la croisée de ces deux sentiers pédestres, on retrouve le cimetière Stanhope, lieu de repos de marins morts lors d’un naufrage dans les années 1800.
Se promener entre les pierres rondes et érodées a quelque chose de mystique. Sur une pierre gravée, ils nous mettent en garde : « Dans ce lieu dorment paisiblement les artisans du passé. Promenez-vous avec recueillement, car leur sommeil est sacré. »
Le sentier Farmlands est sans contredit le plus beau sentier que j’ai vu, de par sa flore constamment changeante. Un instant, on marche dans une forêt de sapins morts et gris, aux branches dégarnies, rappelant une forêt maudite. Puis, quelques pas plus loin, c’est l’enchantement : sol vert et arbres longs, où on peut entendre ce son particulier des feuilles de peuplier battant au vent.
Me promener où que ce soit à l’îledu-prince-édouard me fait penser au roman Perfection du matin, de l’auteure canadienne Sharon Butala. Lire ce livre à L’ÎPÉ me semble tout à fait approprié. Elle décrit bien cet apprivoisement de la nature, du sauvage, de l’inconnu, pour en faire une tendresse presque palpable. J’aimerais vous écrire ici la communion avec cette nature lente, à la fois agitée de vent, mais calme au milieu – certes, cela me prendrait toute une vie.
CONSTATS DE L’ÎLE :
√ Malgré le fait qu’il n’y ait pas d’autoroute, les insulaires roulent très vite. Dans une zone de 80, si tu roules à 90, tu en auras toujours un qui se fera un devoir de te coller au derrière. √ Vent omniprésent. √ Ici, les chiens sont des rois et des modes de vie. Ils sont partout, et d’autant plus égaux à l’homme. √ Toujours la question : se rendent-ils compte de la beauté de leurs paysages, leurs phares, leurs plages rouges ?