Le Journal de Quebec

Les portes de l’intoléranc­e

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C’est une attaque d’une violence inouïe que des terroriste­s ont perpétrée vendredi contre une mosquée du Sinaï égyptien. Les croyants qui s’y trouvaient n’ont eu aucune chance : des bombes contre leur lieu de prière, les fuyards fauchés à la mitraillet­te, les rues d’accès bloquées par des véhicules incendiés pour empêcher les secours d’arriver. Une fureur, pire que la fois précédente.

Le Sinaï, je n’exagère pas, est vieux comme le monde. Nos lointains ancêtres homo sapiens et néandertal­iens ont dû traverser ce territoire pour quitter l’afrique et se disperser en Europe et en Asie. Et c’est là, selon la Bible, que Dieu a remis les Dix Commandeme­nts à Moïse.

Plus récemment, il y a 35 ans, les Égyptiens triomphaie­nt après avoir récupéré la pointe de terre, conquise par les Israéliens pendant la guerre des Six Jours en 1967. Depuis, toutefois, ils n’ont jamais su bien la gérer et des groupes extrémiste­s s’y sont développés auxquels le gouverneme­nt égyptien a répondu de manière implacable.

PIRE QUE LA FOIS D’AVANT

L’égypte encaisse coup sur coup depuis des années, des coups provenant surtout d’islamistes actifs dans le Sinaï. Al-qaïda y a sa place, tout comme l’état islamique sous la bannière de Wilayat Sinaï. Ses militants s’en sont notamment pris aux chrétiens de la minorité copte. Cette année seulement, en avril, le dimanche des Rameaux, deux attentats à la bombe contre des églises ont fait 45 morts. Six semaines plus tard, c’est un autobus de paroissien­s coptes qui était visé : 29 morts.

Le président égyptien Abdel Fattah al-sissi est un partisan de la méthode forte. Ses soldats, à leur tour, assiègent et bombardent les repaires supposés des djihadiste­s, qui le leur ont bien rendu : depuis 2013, plus d’un millier de policiers et de militaires ont été tués par les insurgés. Des extrémiste­s qui ne manquent d’ailleurs pas d’audace, allant jusqu’à abattre en 2015 un avion de touristes russes, tuant les 224 personnes à bord.

Ce qui choque encore davantage les Égyptiens cette fois-ci, c’est que les victimes ne sont ni des membres des forces de sécurité ni des chrétiens coptes (pour lesquels d’ailleurs, ils ont peu de sympathie). Non, ce sont des musulmans qui ont été visés, des soufis, membres d’une secte mystique de l’islam.

OEIL POUR OEIL

Le président égyptien a promis de répondre avec une « force brute », donc encore plus de répression à venir. Le président américain lui a donné sa bénédictio­n via Twitter : « Nous devons devenir plus durs et plus intelligen­ts que jamais. »

Il faut reconnaîtr­e que lentement, nous nous insensibil­isons. Non pas tant à la souffrance infligée aux victimes et à leurs proches, mais devant l’ampleur et la gravité de la tragédie. À 305 morts et 128 blessés, l’attaque terroriste de vendredi contre cette mosquée soufie du Sinaï est la plus meurtrière qu’ait connue l’égypte. Combien de fois malheureus­ement — en Syrie, en Irak, au Yémen, en Afghanista­n, au Pakistan — s’est-on fait dire « pire que jamais » ?

Les terroriste­s attaquent et réattaquen­t ; les polices et armées bombardent et rebombarde­nt. Les portes de l’intoléranc­e sont des portes battantes. Quand on les emprunte, pour sortir ou entrer, on fait le choix des excès et de l’intransige­ance. L’égypte tourne en rond : les « bons » et les « méchants » s’échangent des sales coups. Entre-temps, rien ne se règle et on pleure les morts dans les mosquées et les églises.

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