Le Journal de Quebec

Un faux nom suffit à une agence de placement

Notre journalist­e a facilement réussi son entrée dans ce monde parallèle

- ANDREA VALERIA

Un faux nom et un numéro de téléphone. C’est tout ce que cela m’a pris pour dénicher un boulot en 33 minutes. Aucun papier d’identité exigé, pas même de numéro d’assurance sociale, et on m’a expédiée dans une usine de textile de la Rive-nord.

Mardi après-midi. J’appelle dans quelques agences de placement qui font de la publicité qui cible les immigrants. Toutes me disent de venir sur place, mais je choisis de me rendre à celle où on me promet que j’aurai « du travail demain ou après-demain ».

Quand je m’y pointe, je suis étonnée de voir qu’il s’agit d’un haut de duplex, où un appartemen­t semble avoir sommaireme­nt été transformé en firme de placement.

Un homme plutôt bourru m’y accueille. Je lui explique dans un français volontaire­ment « approximat­if » que je suis ici pour un emploi. D’origine chilienne, je parle couramment l’espagnol et je peux parler en français en feignant un accent.

REBAPTISÉE

Après avoir longtemps cherché un formulaire parmi une foule de paperasses, il finit par me tendre une feuille. Il me demande sèchement de remplir une fiche d’employé.

Je m’installe donc sur une tablette bancale qui sert de bureau improvisé et je me rebaptise Lourdes Vasquez. J’omets de fournir mon numéro d’assurance maladie et mon numéro d’assurance sociale.

C’est un autre homme, qui semble être le responsabl­e de l’agence, qui prend possession de ma fiche une fois remplie. Bien plus sympathiqu­e, il souligne qu’il pourrait avoir un boulot pour moi dès le lendemain soir, qu’il va me téléphoner en matinée. Je sors de l’agence. Il est 16 h 20. À 16 h 53, c’est le type aimable de l’agence qui me rappelle déjà. « Lourdes, j’ai un tra- vail pour toi demain ! Quelque chose de propre, un travail pour femme. »

Il m’explique que je devrai être dans le stationnem­ent d’un restaurant Mcdonald’s de l’arrondisse­ment Saint-laurent à 7 h 20 le lendemain.

Il me donne le prénom du contact qui me conduira à mon boulot. Estomaquée par la vitesse à laquelle j’ai été engagée, je me suis couchée tôt ce soir-là, stressée par la journée qui m’attend le lendemain.

Mercredi matin, le temps est gris et frisquet lorsque je me présente au rendez-vous à l’avance. Mais mon « chauffeur » n’est pas là à l’heure convenue. Je l’appelle à plusieurs reprises. Lorsqu’il répond enfin, il conte être déjà en route, car il ne savait pas qu’il devait venir me chercher. Ça fait 40 minutes que je patiente au froid quand il s’amène au volant d’une bagnole bleue, après avoir fait demi-tour.

UNE AMBIANCE PLUTÔT AGRÉABLE

Il peste, car on sera en retard. Le trajet vers l’entrepôt de textiles se fera d’ailleurs quasiment en silence, tandis qu’il passe sans cesse d’une station de radio à l’autre.

Une dame, qui semble être une patronne de l’entreprise, nous attend déjà quand on y arrive. Elle s’est impatienté­e devant notre retard. « C’est ta première fois ici ? » me demande-t-elle. Je lui réponds que oui.

Après m’avoir expliqué que je devrai remplir une fiche pour tenir le compte du nombre de pièces que j’aurai manipulées, on me dirige vers mon poste de travail. C’est l’endroit où je resterai plantée la majorité de la journée. On m’apprend que je vais plier des vêtements, en les plaçant en piles de 10.

Si le travail est exigeant et répétitif, l’ambiance est plutôt agréable. Il y a des gens d’un peu partout : Haïtiens, Asiatiques, Maghrébins, Sud-américains. Et tout ce beau monde échange en français.

Une grosse sirène retentit dans les hautparleu­rs de l’entrepôt. Il est 10 h, c’est l’heure de la première pause de 10 minutes. J’ai déjà plié 90 morceaux. Après mon café, je retourne travailler.

ÉPUISANT ET RÉPÉTITIF

Cent bouts de tissus plus tard, il est midi. À ce moment-là, je suis épuisée, j’ai mal aux genoux et au haut du dos. Pendant l’heure du dîner, on m’invite à travailler pour récupérer le temps perdu le matin puisque je suis arrivée en retard. Ce que je fais.

À ma pause de l’après-midi, j’appelle à l’agence pour insister sur le fait que je n’ai pas de papier, pas de numéro d’assurance sociale, pas d’assurance maladie et pas de pièce d’identité. « Tu sais quoi, ne le dis pas à personne et va travailler demain. On va s’arranger avec mon collègue. Ne le dis pas à personne! » insiste le responsabl­e, en me précisant que je serai payée le lundi suivant.

Quand l’alarme sonne à 16 h 30 pour signifier la fin de la journée, j’ai plié au moins 450 pièces de vêtements. Mon collègue et chauffeur me ramène alors vers Montréal.

Le lendemain, je téléphone à l’agence pour les aviser que je ne retournera­i pas à l’usine de textile, prétextant une blessure.

« On va s’arranger. Appelle-moi quand tu es disponible. Viens chercher ton argent la semaine prochaine », me rassure-t-on.

Quand je fais remarquer que je n’ai pas de compte de banque, on me rassure : « Pas de problème, ce sera en cash... »

 ?? PHOTOS FRÉDÉRIQUE GIRUÈRE ?? Après une simple visite à l’agence de placement, notre journalist­e s’est fait donner un rendez-vous dans le stationnem­ent d’un restaurant tôt le lendemain matin. En mortaise : notre reporter a passé la journée à plier des pièces de vêtements.
PHOTOS FRÉDÉRIQUE GIRUÈRE Après une simple visite à l’agence de placement, notre journalist­e s’est fait donner un rendez-vous dans le stationnem­ent d’un restaurant tôt le lendemain matin. En mortaise : notre reporter a passé la journée à plier des pièces de vêtements.

Newspapers in French

Newspapers from Canada