Le Journal de Quebec

L’asperger auquotidie­n

À 17 ans, Alexandre Poirier-charlebois recevait un diagnostic du syndrome d’asperger, une forme d’autisme, alors que tous croyaient qu’il avait un trouble d’hyperactiv­ité avec déficit de l’attention. Aujourd’hui âgé de 27 ans, il étudie à l’université en

- CAROLINE LÉVESQUE Collaborat­ion spéciale

Quels sont les traits propres au syndrome d’asperger ?

La concentrat­ion, c’est difficile pour moi et quand j’étais petit, les gens pensaient que j’avais un déficit de l’attention. Par exemple, prendre en note ce que le professeur écrit au tableau et écouter ce qu’il dit en même temps pour comprendre la matière, c’est un fiasco. Mais j’ai toujours eu une mémoire pour les détails. On dit aussi que les Asperger ne sont pas empathique­s. Ce n’est pas exact. On n’a juste pas la même façon de penser. Il m’arrive d’avoir de la difficulté à lire les expression­s faciales. J’ai déjà travaillé avec une superviseu­se dont le visage était aussi neutre qu’un mur blanc. Alors, je ne comprenais rien de ce qu’elle voulait vraiment me dire. Aussi, je ne suis pas capable de mentir, mais je me suis amélioré à garder un secret, comme pour ne pas dire les cadeaux de Noël. J’adore les chiffres pairs, comme 4, 8, ou 16. Tout ce qui a quatre pattes va mieux tenir que s’il y en a juste trois.

Qu’est-ce que le diagnostic a changé dans votre vie ?

Avant d’apprendre que j’étais Asperger, ma perception des risques était démesurée. Par exemple, pour aborder une fille ou faire un commentair­e en classe, ça tournait dans ma tête longtemps pour voir s’il y avait un risque et finalement je ne passais jamais à l’action. Je m’isolais aussi beaucoup. Quand tu vis énormément d’anxiété, tenter de faire quelque chose de nouveau, c’est trop un « big deal ». Je fournissai­s beaucoup plus d’efforts que les autres pour tout. À un certain moment, je pouvais même paniquer parce que j’étais seul chez moi, alors que j’aime normalemen­t la solitude. Après le diagnostic, il y a eu certains changement­s au niveau des méthodes utilisées avec moi qui ont mené à ce que je devienne moins anxieux, car on savait enfin ce que j’avais. Tranquille­ment, en sortant de ma zone de confort, je me rendais compte que les situations n’étaient pas si pires que ça. Je suis devenu plus terre-à-terre.

Que représente le soutien de votre famille dans votre cheminemen­t ?

Personnell­ement, j’aime être seul, dans mon coin tranquille. Ma famille m’a donné ce coup de pouce pour sortir de mon confort, parler à des gens et apprendre à être moins nerveux avec eux. Ils me répétaient constammen­t de regarder dans les yeux la personne avec qui je parlais. Quand je regarde des photos de moi lorsque j’étais petit, il n’y en a pas une où je regardais vers le photograph­e. Mon regard était toujours ailleurs, alors ils m’ont appris cela : le contact visuel.

Parfois, les passions des personnes Asperger peuvent frôler l’obsession, comme vous l’expliquez dans votre livre. Quels sont vos intérêts ?

Je suis un passionné de l’assemblage depuis que je suis tout-petit et j’ai tellement dévissé des écrous que mes doigts sont un peu courbés. J’ai déjà eu un petit accident de parcours avec cela : j’ai fait tomber un mur en rénovation à l’école parce qu’il y avait un point d’ancrage qui était lousse et j’ai enlevé une vis. Si je vois une vis, je suis attiré vers cela. J’aime aussi faire des cassetêtes et construire des Legos. À l’épicerie, si une canne de soupe n’est pas au bon endroit, je vais discrèteme­nt la remettre à sa place. J’aime ça quand les choses sont bien placées.

Sur le marché du travail, avezvous vécu des difficulté­s avec le fait que vous êtes Asperger ?

Oui. Avant, je pensais que lorsque je finissais une tâche au travail, j’avais fini de travailler au complet. Aussi, les patrons ne comprennen­t pas à 100 % c’est quoi être Asperger. Une fois, un patron m’a demandé si j’aimais ma job. Moi, littéralem­ent, j’ai pris la phrase comme il me l’a demandé. Alors j’ai répondu que ce n’était pas un emploi de rêve, mais que c’était mieux que rien. Mais ce qu’il voulait dire réellement c’était : « Veux-tu garder ta job ? » Ça ne m’était pas passé par la tête que c’était, au fond, la vraie question. J’ai remarqué qu’il était soulagé de ma réponse. Après, il m’a clairé et j’ai compris que je m’étais mis les pieds dans les plats.

Quels sont les défis auxquels vous devez faire face au quotidien ?

Les défis, ce sont les quatre facteurs de la peur : ce qui est nouveau, imprévu, incontrôla­ble et menaçant. Tranquille­ment, dans les nouvelles situations, j’essaye de faire en sorte que l’inconnu soit plus connu. J’ai besoin de ma routine. Par exemple, j’embarque dans l’autobus et il m’amène à l’école. Je sais qu’il va toujours être là. C’est mon point de repère et le stress s’en va.

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Alexandre Poirier-charlebois est l’auteur du livre Ma vie avec l’asperger.

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