Le Journal de Quebec

La mission d’une mère en deuil de son fils

Après la mort de Félix, Sonia Rhéaume souhaite sensibilis­er la population au don d’organes

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Félix Belley, le fils de Sonia Rhéaume, ne deviendra jamais un adulte. Il est mort à 17 ans, à Chicoutimi, dans un accident de voiture sur le boulevard Saguenay. Le 22 avril 2017, la vie de cette mère de famille a basculé.

« C’EST GRÂCE AUX POUMONS DE CE JEUNE HOMME, FÉLIX, SI MON PAPA PEUT CONTINUER À VIVRE. MALGRÉ LE TRAGIQUE ACCIDENT, FÉLIX A SAUVÉ DES VIES ET IL A SAUVÉ CELLE DE L’HOMME LE PLUS IMPORTANT DANS MA VIE. » – Patricia Lauzon

Sonia Rhéaume est en train de souper avec des amis à Chicoutimi quand son cellulaire sonne. C’est le père de ses deux garçons, dont elle est séparée, qui est au bout du fil. « Félix est à l’hôpital de Chicoutimi. Il a besoin de toi. Il t’attend. » Sonia est comme dans un état second. Comme si la moitié de son cerveau avait compris que son fils était mort, et que l’autre refusait d’y croire. « J’étais en partie triste, en partie confiante. » À l’hôpital, en voyant un policier dans la salle d’attente, elle comprend qu’il n’y a plus d’espoir. On l’amène dans une petite salle privée. Un médecin lui annonce : « C’est un accident cérébral. Votre fils est maintenu artificiel­lement en vie. »

Sonia se souvient : « Il n’y avait plus de son, plus d’image. J’ai piqué une crise. Très intense, mais très courte. »

Le frère de Félix, Michael, est effondré en apprenant la mort de son frère. « Il me disait : “Pourquoi c’est pas moi, c’est lui ?” Je lui ai répondu : toi tu es vivant, Félix est parti, on avance avec ça », se souvient Sonia Rhéaume, attablée devant moi dans un restaurant de Montréal.

En larmes, elle me raconte qu’à l’hôpital, une douzaine d’amis de Félix sont venus le voir alors qu’il était maintenu artificiel­lement en vie. « Ils parlaient à Félix, comme s’il était encore vivant. C’était tellement beau à voir. J’apprenais des choses sur lui ! Un de ses amis racontait à quel point Félix l’avait encouragé en sport. Il lui disait : “Tu m’avais dit que même quand on ne pouvait plus, on pouvait encore...”

Parfois, dans la mort, on accroche à des détails. Félix est mort en se rendant à un défilé de mode, me raconte Sonia. Je pense qu’il allait peut-être frencher une fille qui était mannequin. Il sera mort puceau. Quel dommage. »

DON D’ORGANES

Si Sonia Rhéaume accepte de me parler alors que son fils est mort il y a à peine six mois, c’est pour sensibilis­er la population à l’importance du don d’organes.

Dans les heures qui ont suivi l’accident de son fils, elle a signifié à l’hôpital son intention de sauver le plus de vies possible en donnant les organes de Félix. « Trois jours avant l’accident, je me souviens que je m’étais demandé comment je survivrais si je perdais un de mes garçons. »

Étrange hasard, Sonia Rhéaume était en train de lire Le Why café, un livre de croissance personnell­e. « À la page 60, l’auteur nous invite à nous demander quelle est notre mission dans la vie. Moi j’ai trouvé la mienne : les greffes pour sauver des vies. »

Alors que Félix a eu son accident le vendredi, dès le dimanche soir une équipe de Transplant Québec est sur place à l’hôpital pour prélever ses organes. À 19 h 45, Sonia fait ses derniers adieux à son fils. Elle lui glisse : « Félix, tu te prépares à donner le plus beau cadeau de ta vie. J’t’aime, mon homme. »

Ce soir-là, six organes (un coeur, deux reins, deux poumons et un pancréas) de même que des tissus seront prélevés sur Félix. « Il n’y a que ses yeux qui n’ont pas pu être donnés », m’explique Sonia.

Le jeudi, Félix est exposé au salon funéraire. « Alors qu’à l’hôpital son corps était chaud parce qu’ils le maintenaie­nt artificiel­lement en vie, au salon son corps était froid. Ça a été un choc. »

Au salon, Sonia prend dans ses bras tous ceux qui viennent la saluer. À ceux qui ne savent pas quoi dire elle répond : « Ne dis rien ».

À ceux qui lui disent : « C’est plate », elle répond : « Non, c’est tragique. Plate, c’est quand tu as un flat ou quand tu oublies une chemise dans la sécheuse. » Et à celle qui lui a dit : « Je n’en reviens pas que tu aies donné ses organes, tu l’as tué une deuxième fois », Sonia ne répond rien. Parce qu’il n’y a rien à répondre.

LES RETOMBÉES

Deux jours après le prélèvemen­t des organes, Sonia reçoit un message : le coeur de Félix a été transplant­é, l’opération a été un succès. Elle est contente de savoir que quelque part, le coeur de son Félix continue de battre. Mais quelques semaines plus tard, en ouvrant une lettre de Transplant Québec, elle apprend que le receveur est décédé. « J’ai pleuré toutes les larmes de ma vie. J’ai trouvé ça rough. Tant que son coeur battait, c’est comme s’il n’était pas vraiment parti. Mais là, mon Félix était vraiment mort pour de vrai »…

Heureuseme­nt, les autres histoires de greffe sont plus heureuses.

Le 26 avril, Sonia reçoit un message Facebook d’une inconnue, Patricia Lauzon. « Mon père a été transplant­é des poumons dans la nuit du 24 au 25. Était-ce les poumons de Félix? Les médecins nous ont dit que c’était de jeunes poumons, donc ça nous laisse croire… Juste un oui ou un non, nous aimerions savoir. » Sonia lui a répondu : « Ça ne peut qu’être les beaux poumons du grand champion. » Alors Patricia lui a envoyé une magnifique photo de son père, fraîchemen­t opéré, souriant dans son lit d’hôpital.

Le 27 avril, Patricia Lauzon écrit sur sa page Facebook : « C’est grâce aux poumons de ce jeune homme, Félix, si mon papa peut continuer à vivre. Malgré le tragique accident, Félix a sauvé des vies et il a sauvé celle de l’homme le plus important dans ma vie. Merci du fond du coeur. Mes sympathies à toute la famille, j’aurai toujours et à jamais une énorme pensée pour vous. »

Le 22 mai, un mois jour par jour après l’accident de Félix, Sonia a rencontré Jessica, une jeune enseignant­e qui l’a elle aussi contactée par Facebook, car elle avait reçu un des reins de Félix. Depuis sa greffe, elle n’a plus besoin de dialyse, elle peut recommence­r à vivre et à enseigner et à prendre soin de sa petite fille Alice, deux ans.

« C’était tellement émouvant, tellement positif. Je la regardais et c’est comme si c’était ma fille : un des organes de Félix vivait dans son corps… »

Le 22 juillet 2017, Félix aurait eu 18 ans, l’âge de la majorité. Pour souligner cet anniversai­re qu’il n’aura pas pu fêter, Sonia a demandé à Guillaume Lemay Thivierge de la faire sauter en parachute, pour qu’elle se rapproche du ciel et de son fils. « C’était le plus beau jour de ma vie », me raconte Sonia.

Maintenant que Sonia a trouvé sa « mission », elle travaille à la création d’une fondation. Elle voudrait l’appeler « L’étoile de Félix ».

Quand elle était enceinte, Sonia s’était fait dire par une connaissan­ce que Félix serait « un médecin sans frontières ». En sauvant la vie de plus de six personnes, Félix a, en quelque sorte, réalisé cette prophétie.

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