Le Journal de Quebec

Le danger d’être « gras par en dedans »

En dépit du fait qu’il n’y ait pas une semaine où on ne parle pas d’obésité dans les médias, l’obésité est le mal-aimé des facteurs de risque pour différente­s maladies chroniques comme le diabète de type 2 et les maladies cardiovasc­ulaires.

- Jean-pierre DESPRÉS Chercheur C.Q., Ph. D., FAHA * Collaborat­ion spéciale

En effet, contrairem­ent à l’hypertensi­on et au cholestéro­l qui ne sont pas visibles à l’oeil, « être gros » est malheureus­ement trop souvent associé à une stigmatisa­tion des individus qui en sont affectés (« il est gros, c’est sa faute… »). Voilà une vision bien simpliste du problème.

Par ailleurs, les grandes études qui ont examiné la relation entre le poids et la santé ont généré une grande controvers­e. En effet, il y aurait des individus obèses en santé alors que des individus de poids normal pourraient être, malgré tout, à risque. Comment expliquer cela ? C’est la question que je me suis posée il y a maintenant plus de 30 ans quand j’ai commencé ma carrière de chercheur à l’université Laval.

UN STOCKAGE DE GRAISSE DIFFÉRENT

Je dois ma carrière à l’idée d’un médecin interniste de l’université d’osaka au Japon qui a été le premier à utiliser une technique d’imagerie, la tomodensit­ométrie (aussi communémen­t appelée scan, TACO ou CT), afin de mesurer de façon précise la quantité de graisse corporelle. Les images saisissant­es de son équipe de recherche publiées dans un article scientifiq­ue en 1983 allaient affecter à tout jamais ma carrière de chercheur.

En effet, ce médecin était le premier à rapporter des différence­s spectacula­ires dans la façon dont l’humain stocke sa graisse corporelle. Selon ces premières données d’imagerie, certains individus accumulent de la graisse dans leur cavité abdominale (obésité viscérale) alors que d’autres l’accumulent sous la peau (obésité sous-cutanée).

Au milieu des années 80, je me suis donc lancé dans une grande étude avec l’aide de sujets volontaire­s de la région de Québec. Après quelques années de collecte de données, les résultats obtenus étaient sans équivoque : les individus en surpoids ou obèses qui sont hypertendu­s, qui ont des anomalies des lipides sanguins et qui sont à risque pour le diabète (tous des facteurs de risque pour les maladies cardiovasc­ulaires) ont des quantités élevées de graisse dans leur cavité abdominale, alors que les individus en surpoids ou obèses qui ont de faibles quantités de graisse viscérale ne présentent aucun de ces facteurs de risque.

Lorsque mon équipe a rapporté ces résultats à la fin des années 80, ils ont été reçus avec un certain scepticism­e, ce qui est sain en science. Toutefois, 30 ans plus tard, de nombreux travaux de plusieurs équipes de recherche dans le monde ont confirmé nos observatio­ns. Depuis ce temps, la résonance magnétique est maintenant devenue la technique d’imagerie de référence.

Aujourd’hui, avec mon collègue le Dr Éric Larose, cardiologu­e à l’institut universita­ire de cardiologi­e et de pneumologi­e de Québec, nous étudions de façon systématiq­ue la répartitio­n de la graisse corporelle et son impact sur la santé. Nous sommes maintenant en mesure de comprendre davantage pourquoi avoir trop de graisse viscérale est mauvais pour la santé.

GRAISSE INVISIBLE

En effet, nos travaux récents ont montré que si vous avez trop de gras dans l’abdomen, vous avez probableme­nt un coeur enveloppé de gras, un foie gras de même que des muscles infiltrés de graisse.

Bref, vous êtes « gras par en dedans » et cette graisse invisible ne peut pas être mesurée par le fameux poids santé. Que faire alors ? Nous en parlerons dans la prochaine chronique. En attendant, gardez à l’esprit qu’il n’y a pas que le poids santé : il faut bien manger et bouger. * Jean-pierre Després est professeur au Départemen­t de kinésiolog­ie de la Faculté de médecine de l’université Laval. Il est également directeur de la recherche en cardiologi­e à l’institut universita­ire de cardiologi­e et de pneumologi­e de Québec. Depuis 2015, il est directeur de la science et de l’innovation à l’alliance santé Québec.

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