Le danger d’être « gras par en dedans »
En dépit du fait qu’il n’y ait pas une semaine où on ne parle pas d’obésité dans les médias, l’obésité est le mal-aimé des facteurs de risque pour différentes maladies chroniques comme le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires.
En effet, contrairement à l’hypertension et au cholestérol qui ne sont pas visibles à l’oeil, « être gros » est malheureusement trop souvent associé à une stigmatisation des individus qui en sont affectés (« il est gros, c’est sa faute… »). Voilà une vision bien simpliste du problème.
Par ailleurs, les grandes études qui ont examiné la relation entre le poids et la santé ont généré une grande controverse. En effet, il y aurait des individus obèses en santé alors que des individus de poids normal pourraient être, malgré tout, à risque. Comment expliquer cela ? C’est la question que je me suis posée il y a maintenant plus de 30 ans quand j’ai commencé ma carrière de chercheur à l’université Laval.
UN STOCKAGE DE GRAISSE DIFFÉRENT
Je dois ma carrière à l’idée d’un médecin interniste de l’université d’osaka au Japon qui a été le premier à utiliser une technique d’imagerie, la tomodensitométrie (aussi communément appelée scan, TACO ou CT), afin de mesurer de façon précise la quantité de graisse corporelle. Les images saisissantes de son équipe de recherche publiées dans un article scientifique en 1983 allaient affecter à tout jamais ma carrière de chercheur.
En effet, ce médecin était le premier à rapporter des différences spectaculaires dans la façon dont l’humain stocke sa graisse corporelle. Selon ces premières données d’imagerie, certains individus accumulent de la graisse dans leur cavité abdominale (obésité viscérale) alors que d’autres l’accumulent sous la peau (obésité sous-cutanée).
Au milieu des années 80, je me suis donc lancé dans une grande étude avec l’aide de sujets volontaires de la région de Québec. Après quelques années de collecte de données, les résultats obtenus étaient sans équivoque : les individus en surpoids ou obèses qui sont hypertendus, qui ont des anomalies des lipides sanguins et qui sont à risque pour le diabète (tous des facteurs de risque pour les maladies cardiovasculaires) ont des quantités élevées de graisse dans leur cavité abdominale, alors que les individus en surpoids ou obèses qui ont de faibles quantités de graisse viscérale ne présentent aucun de ces facteurs de risque.
Lorsque mon équipe a rapporté ces résultats à la fin des années 80, ils ont été reçus avec un certain scepticisme, ce qui est sain en science. Toutefois, 30 ans plus tard, de nombreux travaux de plusieurs équipes de recherche dans le monde ont confirmé nos observations. Depuis ce temps, la résonance magnétique est maintenant devenue la technique d’imagerie de référence.
Aujourd’hui, avec mon collègue le Dr Éric Larose, cardiologue à l’institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, nous étudions de façon systématique la répartition de la graisse corporelle et son impact sur la santé. Nous sommes maintenant en mesure de comprendre davantage pourquoi avoir trop de graisse viscérale est mauvais pour la santé.
GRAISSE INVISIBLE
En effet, nos travaux récents ont montré que si vous avez trop de gras dans l’abdomen, vous avez probablement un coeur enveloppé de gras, un foie gras de même que des muscles infiltrés de graisse.
Bref, vous êtes « gras par en dedans » et cette graisse invisible ne peut pas être mesurée par le fameux poids santé. Que faire alors ? Nous en parlerons dans la prochaine chronique. En attendant, gardez à l’esprit qu’il n’y a pas que le poids santé : il faut bien manger et bouger. * Jean-pierre Després est professeur au Département de kinésiologie de la Faculté de médecine de l’université Laval. Il est également directeur de la recherche en cardiologie à l’institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec. Depuis 2015, il est directeur de la science et de l’innovation à l’alliance santé Québec.