Le Journal de Quebec

Pourquoi tant de sacres ?

- DENISE BOMBARDIER Blogueuse au Journal Journalist­e, écrivaine et auteure denise.bombardier @quebecorme­dia.com

Le gala Les Olivier fut encore cette année la tribune de trop d’humoristes sacreurs. Comme si truffer leur langue de jurons — et combien d’entre eux en connaissen­t le vrai sens ? — est un laissez-passer vers le peuple dont ils se réclament. Car il existe chez les gens du show-business, mais aussi chez de nombreux artistes, la peur de s’exprimer dans une langue de qualité qui pourrait suggérer qu’ils sont au-dessus du « monde ordinaire » qui les adule. Pourtant, certains ne portent plus à terre, atteints du syndrome de la « grosse tête ».

Les vedettes qui rêvent de s’enrichir croient qu’en débarquant dans leur gala, revêtues de vêtements défraîchis qu’on n’oserait offrir à des itinérants, ils se la jouent « authentiqu­es », tutoyant tout ce qui bouge et mâchant de la gomme pour calmer leur stress de nominé.

« PEUPLE »

Les humoristes sont-ils représenta­tifs de ce qu’on appelle le « peuple » ? Pourquoi agissent-ils avec un sans-gêne, une désinvoltu­re et une grossièret­é lorsqu’ils ne sont plus en spectacle, mais simplement eux-mêmes ? Il faut les voir dans les « talk-shows » alors qu’ils s’ap- pliquent à caricature­r leur langue déjà pauvre ou pire, qu’ils masquent la langue correcte dans laquelle ils s’adressent devant des gens qu’ils souhaitent impression­ner.

Est-ce une erreur de croire qu’avec l’augmentati­on du taux de scolarité au Québec, on était en droit d’espérer que le niveau général s’élève ? Et que l’usage systématiq­ue des jurons diminue ?

Or, c’est le contraire qui s’est produit. Dans ma carrière, j’ai interviewé nombre de vedettes de variétés : La Poune (Rose Ouellette) en passant par Claude Blanchard, Olivier Guimond et Gilles Latulippe. J’ai été émue devant ces vedettes qui en public faisaient un effort pour s’exprimer dans une langue que devraient leur envier plusieurs humoristes. Ces artistes populaires qui devaient sacrer comme on l’a toujours fait dans le milieu ouvrier ne se permettaie­nt pas de s’exprimer en joual lorsqu’ils accordaien­t des entrevues.

COMPLAISAN­CE

Décidément, il existe une complaisan­ce perverse chez trop de Québécois à massacrer la langue, à la caricature­r, la rendant ainsi incompréhe­nsible au reste de la francophon­ie. Au nom de l’anti-élitisme, ce nuage polluant suspendu au-dessus du Québec. Au nom d’une affirmatio­n identitair­e où les sacres servent d’adverbes, d’adjectifs, de conjonctio­ns et de verbes.

Cette langue, comprenons-le bien, n’est pas la langue de Fred Pellerin à qui ne rebutent pas les jurons qu’il emploie, lui, dans un sens poétique.

Or, la langue de ces humoristes est à l’image de celle des séries télévisées qui rassemblen­t des millions de téléspecta­teurs fidèles, qui ne bronchent pas devant la grossièret­é, l’obscénité, et la violence du vocabulair­e mis dans la bouche des personnage­s.

Justifier ces infraction­s contre la langue au nom de notre distinctio­n collective, notre authentici­té, notre créativité langagière est absurde.

Dimanche, François Morency a démontré qu’un humoriste peut être spirituel en nous faisant rire dans une langue qui n’est pas clanique. Mais, hélas, le « j’parle comme j’parle ? C’est quoi, ton problème, stie » a encore préséance sur le « Je me souviens ».

Vaut-il mieux en rire qu’en pleurer ?

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 ??  ?? Les humoristes sont-ils représenta­tifs de ce qu’on appelle le « peuple » ? (photo de François Morency)
Les humoristes sont-ils représenta­tifs de ce qu’on appelle le « peuple » ? (photo de François Morency)

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