Le Journal de Quebec

Un féminisme qui a perdu ses repères

- FATIMA HOUDA-PEPIN

Le « féminisme » est le terme le plus recherché, cette année, sur internet, selon le site du dictionnai­re américain Merriam-webster, une hausse de 70 % par rapport à 2016.

Le 6 décembre dernier, la personnali­té de l’année 2017 du magazine Time est allée à cinq femmes, briseuses de silence, dans ce qu’il est convenu d’appeler le mouvement #Metoo / #Moiaussi.

LA RANÇON DE LA GLOIRE

Tout a commencé par le mot-clic #Womensmarc­h qui a déclenché, le 21 janvier 2017, une contestati­on planétaire avec plus de 670 marches de femmes indignées aux États-unis et dans le monde, mobilisant près de 5 millions de manifestan­tes, en réaction au mépris du nouveau locataire de la Maison-blanche, Donald Trump, à l’égard des femmes, dont plusieurs l’accusent, encore aujourd’hui, d’inconduite­s sexuelles.

Bien que les événements de l’actualité aient soutenu l’intérêt pour le féminisme tout le long de l’année 2017, le pic mondial au palmarès des mots les plus consultés a été atteint à compter du 5 octobre dernier, quand le New York Times a lancé sa bombe à fragmentat­ion.

Cinq stars d’hollywood y brisaient le silence en lançant une déferlante d’accusation­s de harcèlemen­t et d’agressions sexuelles contre le « Dieu » du cinéma, Harvey Weinstein. Des pratiques connues du microcosme hollywoodi­en depuis des décennies, mais sur lesquelles on fermait les yeux. Les hashtags #Metoo et #Moiaussi feront le reste, à coup de millions de partages.

Aujourd’hui, Harvey Weinstein fait l’objet d’accusation­s de viol et d’agressions sexuelles, émanant de 70 femmes (actrices, productric­es, journalist­es, mannequins et employées). Un véritable tribut qu’il fallait payer pour se maintenir à l’emploi, faire aboutir une carrière ou se hisser au sommet du septième art. Toute une rançon de la gloire !

Après lui, des dizaines de monstres qu’on avait « sacralisés » ont été déboulonné­s. Plus près de nous, les masques de Gilbert Rozon et d’éric Salvail sont tombés. D’autres grossiers personnage­s qui s’étaient taillé des niches dans les milieux culturels, médiatique­s ou politiques ont également disparu de la circulatio­n. Mais le ménage est loin d’être complèteme­nt fait.

QUEL AVENIR POUR LE FÉMINISME ?

Doit-on déduire de cet élan de dénonciati­ons que le féminisme est de retour ? Non, car le féminisme ne se porte pas mieux pour autant. Le mouvement féministe a perdu ses repères. Il a cessé d’être un moteur de changement social et s’est éloigné des principes fondamenta­ux qui devraient le guider.

Plusieurs groupes de femmes n’hésitent pas à sacrifier les enjeux proprement féministes sur l’autel des guéguerres idéologiqu­es. Elles mènent des combats puérils sur « le sexe des anges » au lieu de s’attaquer aux menaces qui pèsent réellement sur les droits des femmes.

Certes, il y a encore des intellectu­elles, des militantes et des intervenan­tes qui croient en sa pertinence et savent qu’on ne combattra pas les inégalités, le sexisme et le patriarcat à coups de hashtags.

Aussi efficace soit-il, le mouvement #Metoo / #Moiaussi, lancé par des idoles inspirante­s qui ont accès au pouvoir, à l’argent et à la parole, n’est que la pointe de l’iceberg. Mais elles sont loin d’être représenta­tives de millions d’autres femmes, à travers le monde, qui subissent la violence et l’exclusion sociale, dans l’oubli et l’indifféren­ce.

Je pense, entre autres, au viol et à l’esclavage sexuel comme armes de guerre, une tragédie sans nom, vécue par des milliers de femmes dans les zones de conflits, en Afrique, en Asie et au MoyenOrien­t. C’est un crime contre l’humanité dont on ne mesure même pas l’ampleur.

À quand les états généraux du féminisme ?

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La personnali­té de l’année 2017 du magazine Time est allée à cinq femmes, briseuses de silence dans le mouvement #Metoo.

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