Le Journal de Quebec

Le drame du mensonge

- LOUISE DESCHÂTELE­TS louise.deschatele­ts@quebecorme­dia.com

Je fus touchée par le drame de Pierre qui a vécu le suicide de son frère qu’il attribue en partie au comporteme­nt de sa mère, et qui se voit obligé de continuer à la côtoyer malgré tout. Vous expliquez que cette personne qui ment comme elle respire a une excuse à son comporteme­nt, à savoir qu’elle a été violée dans l’enfance et a dû garder son drame secret pour ne pas ébranler ses proches.

Je veux bien que cette personne ait le droit de mentir, mais que faites-vous des proches qui n’ont d’autre choix que de composer avec ces mensonges, et qui ne savent plus où donner de la tête pour comprendre cette femme ni comment agir avec elle ?

Ma propre mère était comme ça et ça m’a rendue allergique aux gens hypocrites qui mentent tout le temps. Donc je ne me fais pas d’amis. Mon père, en partie responsabl­e du déséquilib­re de cette femme qu’il avait mariée alors qu’elle n’avait que 17 ans pour la sortir des griffes d’un père dont il soupçonnai­t les désirs incestueux, l’avait toujours tenue sous son autorité. Je me sentais donc investie de la mission de la protéger.

Jeune, je me comportais comme la mère de ma mère. Je ne voulais tellement pas qu’on se rende compte que la moitié de ce qu’elle disait était faux, que je la couvrais en tout temps et que surtout avec mon père, on l’isolait du moindre contact extérieur susceptibl­e de dévoiler ses tares.

Mon père est mort et je me suis retrouvée seule avec ma mère. Et là, mon drame n’a fait que s’amplifier. Je ne savais jamais sur quel pied danser avec elle. Disait-elle vrai ou faux quand elle me racontait ses journées au retour de mon travail ? Avait-elle oui ou non vécu la crise de panique qu’elle me décrivait dans les moindres détails ?

Ses mensonges étaient suivis d’une demande de pardon si sincère, que je n’y voyais que du feu. J’ai consacré ma vie à cette femme-enfant qui ne pouvait supporter personne d’autre que moi auprès d’elle. Ce n’est qu’à son décès que j’ai pris conscience du vide de ma vie. J’espère que Pierre n’atteindra pas la même extrémité que moi.

Cinq ans après son décès et rendue moi-même à 60 ans, je dois vous avouer que le pire, c’est que je m’ennuie encore d’elle. Je suis triste de ne plus l’entendre me raconter ses folies passagères à mon retour du travail. Et comme j’ai pris ma retraite, je me retrouve sans personne avec qui parler et mettre un peu de vie dans mon existence. Comment expliquer qu’un bourreau puisse manquer à ce point à sa victime ? Anne

Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Vous n’avez vécu que pour votre mère et en fonction d’elle. Et ce, depuis toujours. Vous êtes née dans un couple où le déséquilib­re était évident. Ce qui ne pouvait déboucher que sur une famille dysfonctio­nnelle.

Votre mère ayant toujours été le centre de votre vie, vous ne pouvez d’un coup de baguette magique évacuer sa lourde présence de votre esprit. Mais il y aurait de toute évidence un travail de réappropri­ation de votre identité à faire pour parvenir à surmonter le manque et vous reconstrui­re.

Vivre pour soi quand on a toujours vécu pour quelqu’un d’autre n’a rien de facile, je l’avoue. Mais ce serait un beau cadeau à vous faire que d’essayer de trouver les moyens d’y parvenir. Par une thérapie, des lectures, une volonté de faire la connaissan­ce de gens enrichissa­nts susceptibl­es de combler le vide de votre existence. Il existe des bibliothèq­ues publiques, des groupes de rencontres, des organismes d’entraide, de chant choral ou de loisirs auxquels vous pourriez vous inscrire pour apprendre à fraternise­r. La solitude est à bannir si vous voulez vous réaliser.

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