Le Journal de Quebec

Cédric et Sébastien

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Les enfants sont revenus de la récréation et ont regagné leur place.

Pas Sébastien. Je m’étire le cou en croyant le voir se dévêtir à son crochet. Non. Personne. Je délaisse les autres devant l’urgence. Un élève a disparu.

Après quelques secondes d’hyperventi­lation, je retrouve Sébastien dans le coin, près de la bibliothèq­ue.

Sébastien pleure. De grosses larmes. Lourdes. Épaisses.

Il essaie de m’expliquer, mais je ne saisis pas tout. Il est question de Cédric. Encore un conflit.

Cédric viendrait de lui faire un commentair­e sur ses dents.

La semaine dernière, il avait lancé son sac d’éducation physique dans la poubelle … après que Sébastien lui eut envoyé un ballon de basketball en plein visage.

La semaine d’avant, c’est Sébastien qui avait commencé en barbouilla­nt sur son cahier de français. Cédric l’avait ensuite poussé par terre dans le coin lecture.

Il y a eu aussi une escarmouch­e en musique. Sur le chemin de l’école et sur les réseaux sociaux.

C’est compliqué ces deux-là. En quelques jours, cela fait trois récréation­s que l’éducatrice spécialisé­e de l’école et moi passons avec eux à essayer de voir clair dans leurs histoires.

Le lundi c’est l’un, le mardi c’est l’autre. Le mercredi, l’un se trouve des alliés pour achaler l’autre. Le jeudi, c’est l’inverse. Un mensonge ici. Une exagératio­n là. Qui a commencé ? Même eux ne le savent plus. Et les témoins et complices de leurs chicanes non plus.

J’entends mes élèves se désorganis­er. Je dois retourner avant que la classe prenne l’allure d’un party de cabane à sucre. Sébastien a séché ses larmes. Nous poursuivro­ns notre discussion. J’en aurai une avec Cédric.

Et recontacte­rai leurs parents.

INTIMIDATI­ON 101

Le Ministère a mis en place dans les écoles primaires et secondaire­s un protocole pour contrer l’intimidati­on.

Mais dans la vraie vie, voir clair dans des histoires d’enfants, c’est loin d’être évident.

Tracer une ligne. Reconnaîtr­e ce qui va dans la colonne des conflits et dans la colonne de l’intimidati­on.

Même si ce n’est pas du tout la même chose. Et que j’ai été formée pour faire la différence.

Cela prend du temps à démê- ler. Des ressources.

Et une collaborat­ion exemplaire de parents ouverts, lucides et collaborat­eurs.

TROUVER LA RECETTE

Aujourd’hui, nous avons parlé d’intimidati­on. Encore. De ces mots qui blessent. Plus que les gestes.

Nous avons essayé de comprendre pourquoi nous utilisons des mots si durs avec les autres.

D’identifier ce qui se cache parfois derrière les paroles blessantes. Pourquoi ce sont souvent les mêmes élèves qui les utilisent et pas d’autres.

J’ai vu des yeux se baisser. Des visages rougir.

Léa se souvient avoir craché sur Patrice en 3e année. Mathieu, de s’être beaucoup moqué de Sabrina. De ses cheveux frisés.

Tous les jeunes qui deviennent des intimidate­urs au secondaire sont passés par le primaire, bien sûr.

Mais ils sont aussi nés dans une famille.

J’aimerais donc connaître la recette pour que l’histoire tragique du jeune Simon et du train ne se répète plus jamais.

Les enfants et moi avons convenu d’une chose : prendre davantage soin de nous. Et des autres.

C’est un début.

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