Le Journal de Quebec

Une formation boudée et inefficace

Les députés fédéraux et leurs employés sont mal équipés pour lutter contre le harcèlemen­t sexuel

- GUILLAUME ST-PIERRE

OTTAWA | La formation à l’intention des députés fédéraux et de leurs employés afin de lutter contre le harcèlemen­t – dont le harcèlemen­t sexuel – est carrément bidon, selon des experts.

« Je doute que cette formation réussisse à faire changer le comporteme­nt de ceux qui font du harcèlemen­t sexuel », croit Stéphanie Tremblay, la porteparol­e du Regroupeme­nt québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS).

Dans la foulée du mouvement #Moiaussi, l’ex-ministre de la Condition féminine, Patty Hajdu, rappelle que le harcèlemen­t sexuel sévit partout, y compris dans les milieux politiques fédéraux.

« Je crois qu’il existe encore énormément de travail pour régler le problème ici même au Parlement », dit-elle. Les employés de députés sont souvent de jeunes femmes et il y a beaucoup d’événements où on offre l’alcool gratuit. »

La formation en question – une vidéo d’une heure disponible sur internet – a été créée dans la foulée d’allégation­s d’inconduite­s sexuelles de la part de deux députés libéraux envers deux élues du NPD en 2014.

Depuis, des règles ont été mises en place pour encadrer les relations entre les députés et leurs employés, ainsi que celles entre les élus. La séance de formation en ligne, qui propose des mises en situation, constitue le principal outil pour assainir les moeurs au Parlement canadien.

PAS OBLIGATOIR­E

Mais elle risque bien de rater sa cible puisqu’elle n’est pas obligatoir­e, croient des experts. « Ceux qui vont aller la visionner sont ceux qui sont déjà sensibilis­és », explique Yvonne Séguin, la cofondatri­ce du Groupe d’aide et d’informatio­n sur le harcèlemen­t sexuel au travail (GAIHST), basé à Montréal.

« Les gens qui vont commettre des gestes qui relèvent du harcèlemen­t sexuel ne se sentiront pas concernés si ce n’est pas obligatoir­e », renchérit Stéphanie Tremblay.

Le contenu de la formation pose lui aussi problème, selon les deux spécialist­es. Elles regrettent notamment l’absence de définition claire de ce que constitue le harcèlemen­t sexuel.

Les conséquenc­es légales auxquelles s’exposent les harceleurs manquent aussi cruellemen­t à l’exposé, estiment-elles. Plus décevant encore : des mises en situation suggèrent à la victime de régler le problème en affrontant directemen­t son harceleur.

« Ce n’est pas du tout représenta­tif de la réalité, croit Mme Tremblay. Cela fait reposer la responsabi­lité sur les victimes. » De plus, à cause du « rapport de pouvoir », les victimes ne sont généraleme­nt pas enclines à affronter leur agresseur. Ces derniers sont d’ailleurs rarement ouverts à la critique, ajoute-t-elle.

PEU SUIVIE

En plus de rater sa cible, la séance de formation est boudée par les principaux intéressés ( voir autre texte).

Depuis sa mise en ligne en décembre 2016, un peu plus de 123 députés sur 338 se sont identifiés comme ayant complété l’exercice. Et cela, malgré des « rappels continus » de la Chambre des communes, soutient la porte-parole Heather Bradley.

« LES GENS QUI VONT COMMETTRE DES GESTES QUI RELÈVENT DU HARCÈLEMEN­T SEXUEL NE SE SENTIRONT PAS CONCERNÉS SI CE N’EST PAS OBLIGATOIR­E » Stéphanie Tremblay, porte-parole du RQCALACS

 ?? PHOTO AGENCE QMI, SÉBASTIEN SAINT-JEAN ?? Stéphanie Tremblay, la porte-parole du Regroupeme­nt québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS), juge sévèrement la formation sur le harcèlemen­t offerte aux élus fédéraux, qu’elle a consultée.
PHOTO AGENCE QMI, SÉBASTIEN SAINT-JEAN Stéphanie Tremblay, la porte-parole du Regroupeme­nt québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS), juge sévèrement la formation sur le harcèlemen­t offerte aux élus fédéraux, qu’elle a consultée.

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