Une formation boudée et inefficace
Les députés fédéraux et leurs employés sont mal équipés pour lutter contre le harcèlement sexuel
OTTAWA | La formation à l’intention des députés fédéraux et de leurs employés afin de lutter contre le harcèlement – dont le harcèlement sexuel – est carrément bidon, selon des experts.
« Je doute que cette formation réussisse à faire changer le comportement de ceux qui font du harcèlement sexuel », croit Stéphanie Tremblay, la porteparole du Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS).
Dans la foulée du mouvement #Moiaussi, l’ex-ministre de la Condition féminine, Patty Hajdu, rappelle que le harcèlement sexuel sévit partout, y compris dans les milieux politiques fédéraux.
« Je crois qu’il existe encore énormément de travail pour régler le problème ici même au Parlement », dit-elle. Les employés de députés sont souvent de jeunes femmes et il y a beaucoup d’événements où on offre l’alcool gratuit. »
La formation en question – une vidéo d’une heure disponible sur internet – a été créée dans la foulée d’allégations d’inconduites sexuelles de la part de deux députés libéraux envers deux élues du NPD en 2014.
Depuis, des règles ont été mises en place pour encadrer les relations entre les députés et leurs employés, ainsi que celles entre les élus. La séance de formation en ligne, qui propose des mises en situation, constitue le principal outil pour assainir les moeurs au Parlement canadien.
PAS OBLIGATOIRE
Mais elle risque bien de rater sa cible puisqu’elle n’est pas obligatoire, croient des experts. « Ceux qui vont aller la visionner sont ceux qui sont déjà sensibilisés », explique Yvonne Séguin, la cofondatrice du Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail (GAIHST), basé à Montréal.
« Les gens qui vont commettre des gestes qui relèvent du harcèlement sexuel ne se sentiront pas concernés si ce n’est pas obligatoire », renchérit Stéphanie Tremblay.
Le contenu de la formation pose lui aussi problème, selon les deux spécialistes. Elles regrettent notamment l’absence de définition claire de ce que constitue le harcèlement sexuel.
Les conséquences légales auxquelles s’exposent les harceleurs manquent aussi cruellement à l’exposé, estiment-elles. Plus décevant encore : des mises en situation suggèrent à la victime de régler le problème en affrontant directement son harceleur.
« Ce n’est pas du tout représentatif de la réalité, croit Mme Tremblay. Cela fait reposer la responsabilité sur les victimes. » De plus, à cause du « rapport de pouvoir », les victimes ne sont généralement pas enclines à affronter leur agresseur. Ces derniers sont d’ailleurs rarement ouverts à la critique, ajoute-t-elle.
PEU SUIVIE
En plus de rater sa cible, la séance de formation est boudée par les principaux intéressés ( voir autre texte).
Depuis sa mise en ligne en décembre 2016, un peu plus de 123 députés sur 338 se sont identifiés comme ayant complété l’exercice. Et cela, malgré des « rappels continus » de la Chambre des communes, soutient la porte-parole Heather Bradley.
« LES GENS QUI VONT COMMETTRE DES GESTES QUI RELÈVENT DU HARCÈLEMENT SEXUEL NE SE SENTIRONT PAS CONCERNÉS SI CE N’EST PAS OBLIGATOIRE » Stéphanie Tremblay, porte-parole du RQCALACS