Le Journal de Quebec

Aucun homme ne veut être Quasimodo

- BOBBY A. AUBÉ Bobby A. Aubé est âgé de 27 ans et détient une maîtrise en littératur­e. Il vit et travaille à Québec.

À l’adolescenc­e, j’étais loin d’être ce qu’on pourrait appeler un « beau gars ». J’avais des boutons plein le visage, des « dents de lapin », et une fâcheuse tendance à me faire rejeter par les filles. Pour un jeune qui avait grandi en se comparant aux prouesses viriles de James Bond ou du Achille interprété par Brad Pitt, c’était parfois difficile à accepter.

J’ai d’ailleurs refoulé mon inclinaiso­n envers la littératur­e pendant presque toute mon adolescenc­e. En deuxième secondaire, un jour où ma professeur­e de français m’avait félicité devant la classe pour un poème sur l’automne, j’avais jeté le papier aux poubelles de façon à ce qu’on me voie bien faire. Il n’en fallait alors pas beaucoup pour se faire accoler l’étiquette de « tapette », et déjà que j’avais de la difficulté avec les filles, je ne voulais pas en rajouter.

Ce fut ainsi au moins jusqu’à ce que je fasse connaissan­ce avec Victor Hugo, celui qui m’a ramené vers l’écriture. C’est d’ailleurs en lisant Notre-dame de Paris que j’ai été confronté pour la première fois aux archétypes de la sottise dont peut faire preuve le genre masculin. Entre autres à travers Frollo le women hater, Phoebus l’homme à femmes, et Quasimodo qui représenta­it tout ce que je ne voulais pas être : un dévoué se faisant offrir à boire par pitié, mais à qui l’on refuse la chaleur et l’intimité.

J’aurais bien aimé me voir dans Phoebus, mais à force d’être constammen­t renvoyé à ma laideur par certains, c’était malheureus­ement dans Quasimodo que je me reconnaiss­ais.

Dans ce quasi-homme justement, qu’on ne considère pas comme « vrai » parce qu’il ne correspond pas au standard d’une masculinit­é, voire d’une humanité digne.

Du moins, ce fut le cas jusqu’à ce que je me rende compte que Phoebus, qui avait mérité l’amour de l’esmeralda dans la version de Disney, était en fait un violeur. Et qu’à cause de ces hommes, la bohémienne se faisait pendre sur la place publique. Sa faute : avoir été objet de convoitise.

Toute une métaphore n’est-ce pas ?

LIRE DES FEMMES

Je ne sais pas combien d’années il m’a fallu pour me libérer ne serait-ce que partiellem­ent de cette conception de la masculinit­é. J’ai tendance à croire qu’une fois inculquées en nous, nos références culturelle­s agissent en latence toute notre vie. Je dois cependant avouer que des amitiés développée­s avec des amies féministes pendant mes études m’ont aidé à faire la part des choses. Certaines oeuvres autobiogra­phiques d’écrivaines m’ont aussi permis d’observer la réalité vécue par les femmes d’un autre angle. La première étant bien sûr Nelly Arcan — mais j’avoue avoir aussi un faible pour les livres de Jeannette Walls, Elena Ferrante, et plus près de nous Naomi Fontaine ou Erika Soucy.

C’est ainsi que petit à petit, je compris que le rejet des femmes à mon égard n’avait pas grand-chose à voir avec ma capacité à être homme, mais plutôt avec la diversité de leurs intérêts et mon manque de socialisat­ion sexuelle. Ça semble bien simple à première vue, mais lorsqu’on a grandi en pensant qu’il faut avoir du succès auprès des filles pour être un « vrai homme », il s’agit d’une importante révélation.

UNE VIRILITÉ FRAGILE ?

Ce qui m’amène à penser que si les hommes se sentent encore atteints dans leur virilité lorsqu’une femme les rejette, c’est peut-être parce que nous avons quelques longueurs de retard dans la déconstruc­tion de nos stéréotype­s. Certes, ça peut se comprendre. Alors que les femmes sont portées depuis plusieurs années par les vagues de différents féminismes, nous avons constammen­t avancé à la traîne, bloqués par la peur d’une quelconque dévirilisa­tion.

Il faut se l’admettre, on a du chemin à faire, car c’est maintenant l’ensemble de cette mentalité agonisante qui est jugée. Or, pour qu’une nouvelle pédagogie agisse et qu’une transition culturelle survienne, il importe d’apprendre à en parler. Je crois que la porte est maintenant ouverte à une plus ample remise en question de notre part.

Pour cette raison, j’ai envie moi aussi de me poser la question, « et maintenant » ?

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JE CROIS QUE LA PORTE EST MAINTENANT OUVERTE À UNE PLUS AMPLE REMISE EN QUESTION DE NOTRE PART.

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