Le Journal de Quebec

La nuit où tout a basculé

Régis Labeaume revient sur les instants suivant l’attaque qui a marqué Québec

- STÉPHANIE MARTIN

WASHINGTON | Le silence, rompu uniquement par les messages sur les ondes radio. Dans le centre de coordinati­on où le maire de Québec s’est rendu d’urgence la nuit de la tuerie, la gravité de la situation imposait un calme olympien.

« Ça m’a marqué. On n’entendait rien. La ville était surveillée, il y avait des écrans partout. Instinctiv­ement, le consensus qu’il y avait, c’était qu’il fallait garder notre calme. On n’avait aucune idée du nombre de morts », se remémore Régis Labeaume, qui a accepté hier pour la première fois de revenir sur cette nuit douloureus­e du 29janvier 2017.

Quelques minutes plus tôt, dans son chalet sur la Côte-de-beaupré, il lisait tranquille­ment ses documents, en préparatio­n de la semaine à venir.

Puis, un appel de la directrice générale adjointe de la Ville, Chantale Giguère. « Elle me dit : “Il y aurait une tuerie à la mosquée. On n’en sait pas plus. Je vous tiens au courant.” » Quelques secondes plus tard, l’ancienne conseillèr­e Marie-josée Savard, qui habite route de l’église, envoie des textos l’avisant que quelque chose ne va pas à la mosquée. La police est partout.

PROCÉDURE D’URGENCE

La procédure d’urgence s’enclenche. En route pour le centre de coordinati­on, il croise le barrage policier près du pont de l’île d’orléans, où le présumé meurtrier a été arrêté.

« J’étais en état de vigilance, d’organisati­on. Le calme complet », relate le maire. Même s’il sent la « pression » de s’adresser aux médias, il résiste. « Je suis plus utile au centre que devant les caméras. »

Alors que les hypothèses se bousculent, il reste toujours, en arrière-plan, une « vision cauchemard­esque » pour lui. Et si c’était un acte commandé par un groupe idéologiqu­e comme Daesh?

Quand il quitte le centre, un peu après minuit, pour aller rejoindre le premier ministre, Régis Labeaume ne connaît toujours pas le bilan précis de la fusillade. L’auteure de ces lignes l’attendait à la sortie. « En sortant, quand je vous ai vue, j’ai réalisé. C’est arrivé dans notre magnifique ville. Ça ne se peut pas que ça soit arrivé à Québec. C’est là que j’ai commencé à être émotif. »

Lorsqu’il a prononcé ses premiers mots, lors d’une conférence de presse organisée en toute hâte, en pleine nuit, la digue a cédé. « J’ai craqué aux premières paroles. J’étais complèteme­nt à l’envers. »

Cette nuit-là, le maire n’a pas fermé l’oeil. « Tu reviens chez vous et tu te dis : “Qu’est-ce qui vient de se passer?” » La première pensée va aux victimes, à leurs femmes et à leurs enfants. Puis, aux conséquenc­es pour Québec, qui s’enorgueill­it d’être l’une des villes les plus sécuritair­es au monde.

COMPRENDRE L’INCOMPRÉHE­NSIBLE

Le lendemain, la communauté musulmane s’est réunie à l’hôtel de ville avec des élus de tous les horizons politiques, tous choqués, accablés. Entre larmes et accolades, on cherche à comprendre l’incompréhe­nsible.

À ce moment de son récit, M. Labeaume s’arrête un moment, incapable de continuer, gagné par l’émotion. « Je sentais qu’il y avait une unité. » Et alors que certains proches attendaien­t encore des nouvelles de leur père, de leur mari, de leur frère, Régis Labeaume savait à quel point les semaines à venir seraient difficiles.

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PHOTO COURTOISIE Cette photo exclusive montre le maire de Québec, Régis Labeaume, en réunion au sommet avec le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, et les deux ministres Sébastien Proulx et Martin Coiteux, quelques heures après la tuerie de la mosquée. Les...
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PHOTO D’ARCHIVES, SIMON CLARK Peu de temps après la fusillade le soir du 29 janvier 2017, les familles des victimes se sont réunies à l’aréna de Sainte-foy sous la surveillan­ce des policiers.

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