La société du soupçon
Les dénonciations quasi quotidiennes de comportements sexuels inacceptables impliquant des personnalités sont en train de transformer profondément nos démocraties. La présomption d’innocence, un concept fondamental du droit, qui n’existe pas dans les dictatures, est en train d’être battue en brèche.
Personne ne niera que la libération de la parole des femmes victimes d’agresseurs sexuels est un pas majeur du progrès vers l’égalité des sexes. Mais cette parole, dans les faits, surgit trop souvent sans garde-fou et sans précautions. Si bien que le soupçon prend le pas sur la recherche de la vérité avant même la mise en accusation.
L’exploitation sexuelle des femmes est un mal absolu. Mais le rejet de la présomption d’innocence est aussi moralement critiquable et ses conséquences sociales entraînent une régression des valeurs instaurées au fil des siècles.
Les déferlements de soupçons sur des personnes ciblées dans les réseaux sociaux, peu importe qu’il y ait poursuite judiciaire ou non, sont une mise à mort sociale en quelque sorte.
DÉNONCIATION INEXACTE
Je n’ai aucune sympathie pour Patrick Brown, l’ex-chef du Parti progressiste-conservateur de l’ontario, que deux jeunes femmes ont accusé de harcèlement sexuel et qui a dû démissionner quasiment sur-le-champ, dès la diffusion des dénonciations. Or, l’une des accusatrices avait assuré qu’elle était mineure lorsque Brown lui a proposé d’avoir une relation sexuelle avec lui. Mercredi, la jeune femme s’est rétractée. Elle n’était pas mineure lors des faits. Ce qui est, on doit l’admettre, une nuance de taille.
Le soupçon est une perception à double tranchant. Il pourrait ouvrir la porte à des règlements de comptes entre des personnes antagonisées et il laisse planer des doutes sur des personnalités publiques, incapables de se défendre. Le soupçon, par contre, permet d’identifier de vrais prédateurs sexuels et d’autres individus grossiers pratiquant le droit de cuissage.
Dans la société de soupçon généralisé en train d’être mise en place, personne n’est à l’abri. La parole de l’un équivaut à la parole de l’autre. Dans la vie courante s’entend.
Dans la société du soupçon, le sentiment de confiance peut être réduit à une peau de chagrin. Or, comment vivre dans l’harmonie et un minimum de sérénité si l’on soupçonne systématiquement tout un chacun ?
LE DOUTE
Plus grave à long terme, le soupçon qui habite trop de citoyens est en train de s’étendre à l’ensemble des institutions et des responsables dans tous les secteurs d’activité. Le doute prévaut face aux politiciens, par exemple, et désormais face aux policiers dont les médias décrivent des comportements indignes de leur fonction.
La société du soupçon change les gens et peut créer des pressions aussi dommageables sur le climat de travail que la présence de harceleurs.
Les exactions à la Weinstein ont permis nombre de dénonciations de gens, dont plusieurs ont disparu sous le radar sans que des procédures judiciaires soient mises en branle. Combien de ces personnes sont coupables, combien sont innocentes ? On risque de ne jamais le savoir. Autrement dit, la société du soupçon annonce un climat irrespirable. Mais quelle est la solution ?