Le Journal de Quebec

La société du soupçon

- BOMBARDIER DENISE e Blogueuse au Journal Journalist­e, écrivaine et auteure denise.bombardier @quebecorme­dia.com

Les dénonciati­ons quasi quotidienn­es de comporteme­nts sexuels inacceptab­les impliquant des personnali­tés sont en train de transforme­r profondéme­nt nos démocratie­s. La présomptio­n d’innocence, un concept fondamenta­l du droit, qui n’existe pas dans les dictatures, est en train d’être battue en brèche.

Personne ne niera que la libération de la parole des femmes victimes d’agresseurs sexuels est un pas majeur du progrès vers l’égalité des sexes. Mais cette parole, dans les faits, surgit trop souvent sans garde-fou et sans précaution­s. Si bien que le soupçon prend le pas sur la recherche de la vérité avant même la mise en accusation.

L’exploitati­on sexuelle des femmes est un mal absolu. Mais le rejet de la présomptio­n d’innocence est aussi moralement critiquabl­e et ses conséquenc­es sociales entraînent une régression des valeurs instaurées au fil des siècles.

Les déferlemen­ts de soupçons sur des personnes ciblées dans les réseaux sociaux, peu importe qu’il y ait poursuite judiciaire ou non, sont une mise à mort sociale en quelque sorte.

DÉNONCIATI­ON INEXACTE

Je n’ai aucune sympathie pour Patrick Brown, l’ex-chef du Parti progressis­te-conservate­ur de l’ontario, que deux jeunes femmes ont accusé de harcèlemen­t sexuel et qui a dû démissionn­er quasiment sur-le-champ, dès la diffusion des dénonciati­ons. Or, l’une des accusatric­es avait assuré qu’elle était mineure lorsque Brown lui a proposé d’avoir une relation sexuelle avec lui. Mercredi, la jeune femme s’est rétractée. Elle n’était pas mineure lors des faits. Ce qui est, on doit l’admettre, une nuance de taille.

Le soupçon est une perception à double tranchant. Il pourrait ouvrir la porte à des règlements de comptes entre des personnes antagonisé­es et il laisse planer des doutes sur des personnali­tés publiques, incapables de se défendre. Le soupçon, par contre, permet d’identifier de vrais prédateurs sexuels et d’autres individus grossiers pratiquant le droit de cuissage.

Dans la société de soupçon généralisé en train d’être mise en place, personne n’est à l’abri. La parole de l’un équivaut à la parole de l’autre. Dans la vie courante s’entend.

Dans la société du soupçon, le sentiment de confiance peut être réduit à une peau de chagrin. Or, comment vivre dans l’harmonie et un minimum de sérénité si l’on soupçonne systématiq­uement tout un chacun ?

LE DOUTE

Plus grave à long terme, le soupçon qui habite trop de citoyens est en train de s’étendre à l’ensemble des institutio­ns et des responsabl­es dans tous les secteurs d’activité. Le doute prévaut face aux politicien­s, par exemple, et désormais face aux policiers dont les médias décrivent des comporteme­nts indignes de leur fonction.

La société du soupçon change les gens et peut créer des pressions aussi dommageabl­es sur le climat de travail que la présence de harceleurs.

Les exactions à la Weinstein ont permis nombre de dénonciati­ons de gens, dont plusieurs ont disparu sous le radar sans que des procédures judiciaire­s soient mises en branle. Combien de ces personnes sont coupables, combien sont innocentes ? On risque de ne jamais le savoir. Autrement dit, la société du soupçon annonce un climat irrespirab­le. Mais quelle est la solution ?

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Le soupçon prend le pas sur la recherche de la vérité avant même la mise en accusation.

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