Le Journal de Quebec

Se priver de la moitié de l’humanité

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PYEONGCHAN­G | L’autobus au décor rouge venait juste de s’ébranler que j’entreprena­is déjà ma deuxième journée de travail… de la journée.

J’étais assis à l’avant, côté droit, André Cyr et Danielle Sauvageau côté gauche. J’ai juste demandé à Mme Sauvageau, qui peinait à replacer sa tignasse noire accrochée au cordon de son accréditat­ion :

– Danielle, comment ça se fait que les défenseurs du Canadien ont tellement de problèmes à sortir le puck de leur zone?

Danielle Sauvageau a une médaille d’or rangée quelque part chez elle. Et cette médaille, c’est rare qu’on puisse le dire, mais elle l’a gagnée personnell­ement à Salt Lake City. J’ai eu droit cet aprèsmidi-là, au pays des Mormons, à une des grandes démonstrat­ions de coaching de ma carrière.

En fait, ça remonte à Nagano. Quand les filles avaient pleuré après leur défaite contre les Américaine­s, les larmes m’avaient serré le coeur bien sûr, mais je n’avais pas oublié pour autant le magnifique spectacle offert par les joueuses des deux équipes.

Et le niveau n’a fait qu’augmenter. Les passes, les sorties de zone, les patrons de jeu en attaque, quelqu’un qui veut avoir un cours avancé sur le hockey n’a qu’à assister à un match Canada-états-unis.

– « C’est la prise de décision qui est trop lente à se prendre. Quand la rondelle se retrouve dans le coin, le joueur ne sait pas quoi faire pour une raison que j’ignore. La première étape serait de prendre la rondelle, ensuite d’être conscient qu’il va se faire frapper quand il va protéger le disque. À ce moment-là, il y a différente­s options qu’il doit connaître. Refiler le disque à sa gauche à un ailier qui le couvre ou vers la droite à l’autre défenseur près du gardien. Mais si ces options ne sont pas claires dans sa tête ou si le système n’est pas maîtrisé parfaiteme­nt, ça peut tourner mal », de répondre la coach.

« Encore faut-il qu’il soit prêt à prendre la mise en échec. Des fois, ça fait mal. »

FORMIDABLE LEÇON DANS LE BUS

Vous comprendre­z aisément que Danielle Sauvageau ne veut pas critiquer ou froisser le Canadien. Surtout pas. Rien ne doit perturber le country club des boys de Bergevin. Ça fait cent ans que c’est de même et ça va rester de même.

Mais juste en discutant, une discussion passionnan­te soit dit en passant, Danielle Sauvageau qui comprend mieux le hockey que 80 % des coachs de la Ligue nationale parce qu’elle en a fait une spécialité intellectu­elle, nous a ouvert les yeux à vitesse grand « V ».

Elle n’espère même pas mettre les patins sur une patinoire avec une équipe de la LNH, mais elle souligne à quel point quelqu’un avec son parcours pourrait être utile : « Juste avec les vidéos, c’est fou ce qu’on peut enseigner quand on sait quoi choisir. Et ça ne me dérangerai­t pas de travailler seule avec un joueur pour mieux expliquer et corriger certains points de son jeu. En harmonie avec le coach en chef bien sûr », a-t-elle lancé dans le feu de la conversati­on.

Et en amont. Avez-vous une idée de tout le travail qu’il y aurait à accomplir pour améliorer la situation avec le Rocket de Laval ? Parce que les Mini-glo

rieux ne sont pas très forts par les temps qui courent. Et les temps qui courent remontent à au moins cinq ou six ans. En fait, avec l’arrivée de Marc Bergevin. On dirait un créditiste en campagne électorale : « Nous sommes sur le bord de l’abîme, avec le Rocket faisons un pas en avant !!! »

LA MOITIÉ DE L’HUMANITÉ

Il n’y a pas une seule femme dans le personnel de coachs dans la Ligue nationale. Des femmes ont dirigé des équipes au Canada, aux États-unis, en Suède, en Finlande, en Russie, partout sur la planète hockey et elles sont systématiq­uement barrées des country clubs.

Ces femmes, parce qu’elles y sont obligées, étudient davantage toute la théorie du hockey. Elles ont dû assimiler des tonnes d’informatio­ns pour seulement arriver à tasser les hommes qui coachaient les filles au plus haut niveau.

Sincèremen­t, croyez-vous que la Ligue nationale ou le Canadien ont les moyens de se priver de la compétence de la moitié de l’humanité de la planète hockey?

Le bus arrivait au Kwandong Arena. Danielle Sauvageau ne parlait plus depuis quelques minutes. Elle a accroché le siège devant elle pour se lever. Comme si elle se parlait pour elle toute seule, elle a lâché avec une pointe d’exaspérati­on :

– « De toute façon, on a dit exactement la même chose depuis 20 ans et rien n’a changé… »

Quelque chose a changé. Danielle Sauvageau et quelques-unes de ses consoeurs sont encore bien meilleures…

Et il y a les temps qui changent…

 ?? PHOTOS AFP ?? Laura Schuler de l’équipe du Canada, Daniela Diaz, de la formation de la Suisse (en haut à droite), et Sarah Ruth-murray (à droite au centre) à la barre de l’équipe de la Corée du Sud sont d’excellente­s stratèges.
PHOTOS AFP Laura Schuler de l’équipe du Canada, Daniela Diaz, de la formation de la Suisse (en haut à droite), et Sarah Ruth-murray (à droite au centre) à la barre de l’équipe de la Corée du Sud sont d’excellente­s stratèges.

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