Le Journal de Quebec

LE DIAGNOSTIC DU PÈRE DE L’ASSURANCE MALADIE

La centralisa­tion est l’une des principale­s causes de la crise qui afflige le système de santé québécois, affirme l’ancien ministre libéral Claude Castonguay

- Fatima Houda-pepin

Rares sont les libéraux qui ont occupé des fonctions gouverneme­ntales ou parlementa­ires qui osent critiquer les incohérenc­es de leur parti ou de leur gouverneme­nt

Ils sont nombreux à étaler leurs frustratio­ns, en privé, et montrer une façade d’unité en public. Claude Castonguay, le « père » de l’assurance maladie, fait exception.

BILAN PEU RELUISANT

Le 23 avril 2016, à mi-mandat du gouverneme­nt Couillard, je l’avais invité à donner une conférence, à un groupe de réflexion que j’anime sur la Rive-sud de Montréal. Il avait impression­né par sa rigueur intellectu­elle et sa perspicaci­té.

Son constat était sans appel : « Le Parti libéral du Québec est arrivé au pouvoir depuis une quinzaine d’années sans prendre le temps de se renouveler. Il n’a ni vision ni orientatio­n claire. » Les dégâts de son régime d’austérité vont se faire sentir sur les services aux citoyens « pour longtemps. »

Il avait dressé un bilan chirurgica­l du gouverneme­nt Couillard et de la détériorat­ion de notre système de santé. Un verdict annonciate­ur de la crise que nous vivons aujourd’hui et qui est loin de se résorber.

Après avoir entendu les cris du coeur des infirmière­s épuisées par leurs propres conditions de travail, j’ai décidé de reprendre cette conversati­on, en profondeur, avec lui.

C’est ainsi que je l’ai rencontré, le 13 février dernier, à Brossard. Claude Castonguay était l’un des premiers à sonner l’alarme et à dénoncer l’acharnemen­t du ministre de la santé à vouloir tout contrôler dans le système de santé.

« Le contrôle excessif du Dr Barrette l’a poussé à faire adopter des lois punitives comme la loi 20 et la loi 30, avec des mesures coercitive­s qui menacent les médecins de poursuites judiciaire­s. Or, ces lois à peine adoptées, le gouverneme­nt a été obligé de les écarter et les mandats qui relevaient de lui ont été confiés au président du Conseil du trésor », a-t-il déclaré.

Pourtant, le système de santé est un réseau fort complexe qui fonctionne 365 jours par année. Pour être efficace et performant, il faut qu’il soit autonome dans sa gestion afin de donner des services qui répondent aux besoins spécifique­s de la population dans chacune des régions du Québec.

Il précise : « Le fait que les conseils d’administra­tion des établissem­ents n’aient pratiqueme­nt plus de rôle est très dommageabl­e pour le réseau. Il faut rééquilibr­er le système, défaire ces grands ensembles qu’on appelle les CIUSSS et rendre aux hôpitaux et aux CHSLD leur autonomie. »

DIAGNOSTIC PERCUTANT

Pourquoi notre système de santé est-il rendu en crise? Sans hésitation, Claude Castonguay pointe vers la centralisa­tion, comme l’une des principale­s causes.

« Le gouverneme­nt actuel ne se limite plus au contrôle des coûts. Il en est venu à vouloir tout contrôler dans le réseau de la santé. On est rendus à un niveau ultime où le ministre actuel de la Santé s’est emparé d’à peu près tous les pouvoirs, et agit par-dessus tous les conseils d’administra­tion, sans se préoccuper de quoi que ce soit. »

Il nous avait aussi alertés sur les dérives prévisible­s de ce qu’il appelle « la médecine organisée », celle des corporatio­ns des médecins qui ont accaparé le système de santé et qui bloquent son évolution. Dans son entrevue, il va plus loin et parle carrément de monopole.

« Les fédération­s des médecins ont réussi à s’accaparer le monopole de la négociatio­n des conditions de travail des médecins. Elles se sont octroyé un monopole de cette négociatio­n et veulent contrôler tout changement dans la pratique médicale et dans l’organisati­on des soins de santé. Ça dépasse le cadre de la simple négociatio­n des conditions de travail, c’est un monopole. »

COLÈRE JUSTIFIÉE

Claude Castonguay trouve justifiée la colère des citoyens face aux privilèges octroyés par les Drs Couillard et Barrette à leurs homologues médecins spécialist­es, à qui ils ont consenti une rémunérati­on supplément­aire de 2 milliards $, au détriment des infirmière­s et des contribuab­les québécois, durement éprouvés par le régime d’austérité.

« Au Québec, dû à la présence de Dr Barrette, ça a pris des dimensions qui dépassent l’entendemen­t, d’autant plus qu’on a toujours eu, ces dernières années, des médecins comme ministres de la Santé. Donc le ministre de la Santé voit toujours la profession médicale de façon particuliè­re, car lui-même étant médecin, il est presque en conflit d’intérêts. »

Voilà, c’est dit. Il ne faut donc pas s’étonner que l’insatisfac­tion à l’égard du gouverneme­nt soit quasi généralisé­e.

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LEBLANC PHOTO D’ARCHIVES, STEVENS L’ex-ministre du gouverneme­nt libéral Claude Castonguay alors qu’il était de passage en commission parlementa­ire à l’assemblée nationale en novembre 2013.
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