AU DIABLE LES DÉPENSES
Des déficits jusqu’en 2023… au moins
OTTAWA | Le gouvernement Trudeau garde le cap sur des déficits sans plan de retour à l’équilibre budgétaire même si l’économie tourne à plein régime. Un pari risqué selon plusieurs experts.
Le ministre des Finances Bill Morneau a présenté hier un budget prévoyant de nouvelles dépenses de quelque 5,4 milliards de dollars et un déficit de plus de 18 milliards. Les libéraux avaient pourtant promis de rétablir l’équilibre à temps pour les prochaines élections en 2019.
Malgré les déficits, le ministre Morneau n’en démord pas : l’investissement du fédéral dans l’économie canadienne est réfléchi et il porte ses fruits.
EXPERTS INQUIETS
« Nous avons été fiscalement responsables, a assuré Bill Morneau en conférence de presse post-budgétaire. Notre économie fonctionne bien. »
Le ministre dit ne pas trop s’en faire avec les déficits d’aujourd’hui parce que « nous travaillons pour le très long terme ».
Mais certains s’inquiètent que les libé- raux ne s’attaquent pas de front au déficit au moment où l’économie tourne rondement. Dans un contexte économiquement favorable, la chose à faire est d’équilibrer ses finances, selon les experts consultés par Le Journal.
« Bill Morneau doit prier pour que l’économie canadienne continue à bien aller, analyse Sylvain Gilbert, associé chez Raymond Chabot Grant Thornton. C’est un jeu très dangereux de conserver des déficits alors que l’économie va bien. »
« Il s’est placé dans les câbles et ce sera très difficile pour lui de s’en sortir si l’économie commence à aller mal », ajoute-t-il.
Un avis que partage Sahir Khan, un économiste à l’université d’ottawa et bras droit de l’ex-directeur parlementaire du budget.
« Nous allons dans la mauvaise direction, dit l’économiste à l’université d’ottawa. Nous devrions avoir plus de marge de manoeuvre pour faire face aux imprévus. »
Le patron de la Fédération canadienne des contribuables félicite les libéraux de ne pas s’être lancés dans d’autres grandes dépenses. Il déplore toutefois lui aussi l’absence d’un plan de retour à l’équilibre budgétaire.
« Ils sont encore en train de se sortir du trou qu’ils se sont creusé dans les budgets précédents », soutient Aaron Wudrick.
QUÉBEC PAS CIBLÉ
Une bonne partie des nouvelles dépenses annoncées dans le budget Morneau ne touchent pas directement les Québécois.
Les libéraux ont annoncé la création d’une nouvelle prestation pour encourager les parents à demeurer plus longtemps à la maison après la naissance de l’enfant au coût de 1,2 milliard. Une mesure qui existe déjà au Québec. Tout au plus, la Belle Province peut espérer une bonification de son propre programme.
Le ministre Morneau n’a pas cru bon d’insérer dans son budget de plus de 400 pages des mesures pour répondre aux nouvelles politiques fiscales américaines.
Les libéraux n’ont aussi prévu aucune mesure pour rassurer le milieu des affaires alors que l’accord de libre-échange nord-américain risque d’être déchiré à tout moment. Le ministre Morneau soutient qu’il fait actuellement « ses devoirs ».
PEU D’ACTION POUR LES FEMMES
Comme prévu, le budget libéral parle abondamment d’égalité hommes-femmes. On rappelle que les femmes gagnent 67 % du salaire des hommes. Mais peu de mesures concrètes d’envergure sont annoncées.
Les libéraux se sont contentés de saupoudrages de quelques millions, par exemple pour encourager les femmes à faire du sport ou endiguer la violence faite à leur endroit.
« NOUS AVONS ÉTÉ FISCALEMENT RESPONSABLES » – Le ministre des Finances Bill Morneau
OTTAWA | Pour la première fois, le fédéral a estimé la somme qu’il entend tirer de la vente du cannabis récréatif : 690 millions $ sur 5 ans.
Ce scénario, inclus dans le budget 2018, est basé sur la vente possible des premiers joints légaux à partir du 1er septembre de cette année.
Ottawa a annoncé aussi que les patients consommateurs de cannabis médical n’auront pas à payer cette taxe. L’herbe faible en THC, l’élément psychoactif du cannabis, n’y sera pas soumise, tout comme celle destinée aux médicaments.
Le ministère des Finances espère recevoir de plus en plus d’argent à mesure que le marché légal remplacera le marché noir. Pour les sept premiers mois de la légalisation, le fédéral entend réduire de 29 % le marché illicite et obtenir 35 millions $ en taxes. Au bout de 5 ans, il cible la conquête de 75 % du marché, pour des revenus fédé- raux de 220 millions $ par an.
En vertu de l’entente avec les provinces, celles-ci empocheront collectivement trois fois ces montants, puisque seul le quart de la taxe ira au fédéral. Ottawa investit 82 millions $ dans l’agence de revenu du Canada pour qu’elle puisse faire la collecte de ces nouveaux droits.
DES DÉPENSES AUSSI
La légalisation du cannabis engendrera d’autres dépenses supplémentaires. Le budget de 2018 prévoit 83 millions $ pour l’éducation publique, la santé mentale et la dépendance, jusqu’en 2023. Cela s’ajoute aux 742 millions $ déjà annoncés par le gouvernement Trudeau sur 5 ans pour se préparer à la légalisation.
Finalement, le gouvernement augmentera la taxe d’accise pour les fumeurs de tabac. Il coûtera 1 $ de plus par cartouche de 200 cigarettes. Cette hausse rapportera environ 1,5 milliard $ sur les 5 prochaines années, soit deux fois plus que la nouvelle taxe sur le cannabis.