Le Journal de Quebec

L’avenir de la censure

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com

Le Devoir nous apprenait récemment qu’au collège de Maisonneuv­e, les enseignant­s ont de plus en plus tendance à se censurer pour ne pas heurter la sensibilit­é des élèves issus de la diversité.

Pour acheter la paix, ils évitent certaines oeuvres et certains sujets. Ils s’autocensur­ent pour éviter les soucis en classe.

On aura compris qu’ils évitent surtout les sujets religieux, même s’ils sont abordés par le biais de l’histoire ou de la littératur­e.

LIBERTÉ

Telle est la vie d’un prof dans un monde où certains étudiants « radicalisé­s » se donnent le droit de décider ce dont on parlera ou non. L’autoritari­sme vient désormais d’en bas.

Pour quiconque connaît aujourd’hui le cégep ou l’université, rien de tout cela ne surprend. Un peu partout en Amérique du Nord une nouvelle culture universita­ire s’impose.

Dans les institutio­ns d’enseigneme­nt supérieur, vouées au savoir le plus exigeant et à la recherche la plus libre, une étrange ambiance règne.

Des groupuscul­es militants qui, la plupart du temps, se réclament de l’antiracism­e ou du féminisme se permettent de décider si telle conférence sera permise, si telle activité sera autorisée.

Pour ne pas vexer les « minorités », on veut créer des espaces sécurisés où ils ne risquent pas d’entendre un discours contredisa­nt leurs valeurs.

Jusqu’où ira cette dérive, si elle ne rencontre pas une vraie opposition ? Projetons-nous dans 10 ans. Un professeur d’histoire de la Nouvelle-france pourra-t-il enseigner sa matière sans se soumettre au nouveau dogme qui veut que l’esclavage en ait été un pilier historique ?

Un professeur de sociologie spécialisé en relations interethni­ques sera-t-il en droit de ne pas se rallier à la théorie du racisme systémique ?

Dans les années 1970, pour enseigner à l’université, il fallait être marxiste. Aujourd’hui, il faut se soumettre au politiquem­ent correct.

Je ne veux pas dire qu’on ne trouve plus de professeur­s libres, mais que la tendance à la soumission idéologiqu­e de l’université est inquiétant­e. La pensée libre s’efface au profit de la pensée correcte.

Imaginons autre chose.

Imaginons qu’un professeur de cinéma décide de consacrer une partie de sa session à l’oeuvre de Woody Allen, qui est, faut-il le rappeler, un cinéaste de génie. Est-ce qu’il devra endurer les protestati­ons d’étudiants incapables de distinguer entre l’homme et l’oeuvre et qui s’opposeront à ce qu’on diffuse ses films ?

Imaginons un autre professeur décidant de projeter un film de Clint Eastwood. Serat-il accusé par ses détracteur­s de faire la promotion d’une cinématogr­aphie machiste et de représenta­tions sociales liées à la société patriarcal­e ?

Sommes-nous encore une société libre ?

UNIVERSITÉ

Notre société croit-elle encore à la liberté intellectu­elle ? Est-elle prête à accepter l’inconfort qui vient avec le désaccord ?

Ou faudra-t-il un jour enseigner seulement les oeuvres « moralement correctes », avec des personnage­s propres, aseptisés, asexués et, pourquoi pas, cyclistes en hiver et végétalien­s?

Sommes-nous encore capables de concevoir la culture comme une mise en scène de l’âme humaine, et non comme une entreprise pédagogiqu­e devant nous purger de nos vices et nous transforme­r en automates obéissant aux nouveaux curés de la bonne pensée ?

Sommes-nous encore une société libre ?

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