Se haïr à s’entretuer ?
Les États-unis n’ont jamais été aussi divisés ! On l’entend de plus en plus souvent, ce constat-là. Je réponds chaque fois qu’il ne faut tout de même pas exagérer, voyons donc !
Plus divisés qu’au cours des années 1950 durant les grands affrontements pour les droits civiques ? Plus que pendant les années 1960 où les assassinats politiques s’enchaînaient : JFK, Malcolm X, Martin Luther King Jr, Robert Kennedy ? Plus que pendant la tragique guerre du Vietnam ? Plus qu’au milieu du 19e siècle, lorsque le tiers des Américains, tellement attachés à l’esclavage, ont poussé le pays à la guerre civile ? Eh bien, plusieurs disent que oui. Ils écoutent le ton grinçant des commentateurs télé, à gauche comme à droite, peu importe le sujet. Prenez l’obamacare : pour un camp, la réforme a sauvé des millions de vies ; pour l’autre, elle leur a arraché le droit de se faire soigner (ou carrément de ne pas se faire soigner) comme ils l’entendent.
C’est pire encore lorsqu’on aborde l’immigration. Les « anti » veulent que les illégaux soient mis à la porte sans hésitation et que ceux qui sont entrés légalement songent à repartir. Les « pro » ? Pas vraiment d’espace pour engager la conversation.
Ceux et celles qui craignent le pire lisent aussi ce qui s’écrit dans les médias sociaux, où les pulsions les plus crues sont exprimées dans le plus parfait anonymat. Ainsi, parallèlement aux échanges habituels d’insultes, ils y voient l’explosion de nouvelles sources de division, comme ces théories de complot prétendant que les étudiants de Parkland, mobilisés pour un contrôle des armes à feu, sont, en fait, des acteurs et des provocateurs antiaméricains.
METTRE LE FEU AUX POUDRES
D’ailleurs, s’il devait y avoir une étincelle à une gigantesque déflagration locale, elle viendra du débat sur les armes à feu. Rien ne braque plus le pays. Regardez simplement la réaction à l’idée d’armer les enseignants dans les écoles : pour certains, l’idée est tout à fait logique ; pour les autres, c’est du grand délire.
Abolir les fusils d’assaut, rien de plus sensé pour la moitié du pays. Pour l’autre moitié ? C’est le début d’un engrenage d’oppression de la part d’un État totalitaire qui chercherait à tout contrôler. La lueur d’un quelconque rapprochement entre les deux positions est imperceptible, probablement parce qu’inexistante.
AU BORD DU GRAND CHAOS
Au point où David French, dans le National Review, un magazine conservateur, constate qu’« une rage plus personnelle que politique anime un côté comme l’autre et constitue un réel danger pour les liens qui nous unissent en tant que nation. »
Un autre commentateur conserva- teur, Glenn Beck, associe ce que traversent les États-unis à ce que vivait l’allemagne du temps de la République de Weimar, tout juste avant la montée d’adolf Hitler au pouvoir : les extrémistes de droite d’un bord, les extrémistes de gauche de l’autre et deux regards totalement inconciliables sur la même réalité.
Marco Rubio, le sénateur républicain de Floride, attaqué de toutes parts pendant le débat organisé par CNN dans la suite de la fusillade de Parkland, est malgré tout parvenu à tirer le constat le plus réaliste de l’abîme qui divise présentement ses compatriotes : « Nous sommes devenus une nation de gens qui ne se parlent plus, de gens qui s’isolent en n’écoutant que les chaînes télé qui nous disent que nous avons raison, de gens qui ont cessé d’être amis à cause du vote pris à la dernière élection. »
Ils vont devoir trouver le moyen de redevenir amis, parce que l’autre possibilité, franchement, fait peur.
S’il devait y avoir une étincelle à une gigantesque déflagration locale, elle viendra du débat sur les armes à feu