Le Journal de Quebec

Se haïr à s’entretuer ?

- RICHARD LATENDRESS­E richard.latendress­e@quebecorme­dia.com

Les États-unis n’ont jamais été aussi divisés ! On l’entend de plus en plus souvent, ce constat-là. Je réponds chaque fois qu’il ne faut tout de même pas exagérer, voyons donc !

Plus divisés qu’au cours des années 1950 durant les grands affronteme­nts pour les droits civiques ? Plus que pendant les années 1960 où les assassinat­s politiques s’enchaînaie­nt : JFK, Malcolm X, Martin Luther King Jr, Robert Kennedy ? Plus que pendant la tragique guerre du Vietnam ? Plus qu’au milieu du 19e siècle, lorsque le tiers des Américains, tellement attachés à l’esclavage, ont poussé le pays à la guerre civile ? Eh bien, plusieurs disent que oui. Ils écoutent le ton grinçant des commentate­urs télé, à gauche comme à droite, peu importe le sujet. Prenez l’obamacare : pour un camp, la réforme a sauvé des millions de vies ; pour l’autre, elle leur a arraché le droit de se faire soigner (ou carrément de ne pas se faire soigner) comme ils l’entendent.

C’est pire encore lorsqu’on aborde l’immigratio­n. Les « anti » veulent que les illégaux soient mis à la porte sans hésitation et que ceux qui sont entrés légalement songent à repartir. Les « pro » ? Pas vraiment d’espace pour engager la conversati­on.

Ceux et celles qui craignent le pire lisent aussi ce qui s’écrit dans les médias sociaux, où les pulsions les plus crues sont exprimées dans le plus parfait anonymat. Ainsi, parallèlem­ent aux échanges habituels d’insultes, ils y voient l’explosion de nouvelles sources de division, comme ces théories de complot prétendant que les étudiants de Parkland, mobilisés pour un contrôle des armes à feu, sont, en fait, des acteurs et des provocateu­rs antiaméric­ains.

METTRE LE FEU AUX POUDRES

D’ailleurs, s’il devait y avoir une étincelle à une gigantesqu­e déflagrati­on locale, elle viendra du débat sur les armes à feu. Rien ne braque plus le pays. Regardez simplement la réaction à l’idée d’armer les enseignant­s dans les écoles : pour certains, l’idée est tout à fait logique ; pour les autres, c’est du grand délire.

Abolir les fusils d’assaut, rien de plus sensé pour la moitié du pays. Pour l’autre moitié ? C’est le début d’un engrenage d’oppression de la part d’un État totalitair­e qui chercherai­t à tout contrôler. La lueur d’un quelconque rapprochem­ent entre les deux positions est impercepti­ble, probableme­nt parce qu’inexistant­e.

AU BORD DU GRAND CHAOS

Au point où David French, dans le National Review, un magazine conservate­ur, constate qu’« une rage plus personnell­e que politique anime un côté comme l’autre et constitue un réel danger pour les liens qui nous unissent en tant que nation. »

Un autre commentate­ur conserva- teur, Glenn Beck, associe ce que traversent les États-unis à ce que vivait l’allemagne du temps de la République de Weimar, tout juste avant la montée d’adolf Hitler au pouvoir : les extrémiste­s de droite d’un bord, les extrémiste­s de gauche de l’autre et deux regards totalement inconcilia­bles sur la même réalité.

Marco Rubio, le sénateur républicai­n de Floride, attaqué de toutes parts pendant le débat organisé par CNN dans la suite de la fusillade de Parkland, est malgré tout parvenu à tirer le constat le plus réaliste de l’abîme qui divise présenteme­nt ses compatriot­es : « Nous sommes devenus une nation de gens qui ne se parlent plus, de gens qui s’isolent en n’écoutant que les chaînes télé qui nous disent que nous avons raison, de gens qui ont cessé d’être amis à cause du vote pris à la dernière élection. »

Ils vont devoir trouver le moyen de redevenir amis, parce que l’autre possibilit­é, franchemen­t, fait peur.

S’il devait y avoir une étincelle à une gigantesqu­e déflagrati­on locale, elle viendra du débat sur les armes à feu

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PHOTO AFP Des Américains réclamant un plus grand contrôle des armes à feu ont manifesté devant le capitole de l’état de Floride, à Tallahasse­e, lundi.
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