Mieux payés, les médecins du Québec travaillent moins
Le nombre de visites par médecin de famille a diminué de 17 %, et de 12 % chez les spécialistes
La hausse de rémunération fulgurante des médecins du Québec depuis 10 ans s’est soldée par une baisse importante de productivité, révèle un rapport dévastateur.
« On a réussi, entre 2006 et 2015, à doubler l’argent qu’on a investi dans la rémunération des médecins, sans augmenter le volume de services », constate un des chercheurs qui a dirigé l’étude, Damien Contandriopoulos, en entrevue avec Le Journal.
Durant cette période, les dépenses liées à la rémunération des médecins sont passées de 3,3 milliards $ à près de 6,6 milliards $, soit une augmentation annuelle moyenne de 8,1 %. De plus, le nombre de médecins a crû de 17 %.
Pourtant, le nombre de visites par médecin de famille a diminué de 17 % pendant les années étudiées; chez les spécialistes, la diminution est de 12 %. Le nombre de jours travaillés suit la même tendance à la baisse : de 4,5 % chez les omnipraticiens, et de 3,1 % chez leurs collègues spécialistes.
Dans certaines catégories, la performance des médecins a simplement stagné, sans reculer, précise M. Contandriopoulos, également professeur à l’université de Victoria.
PAIEMENT À L’ACTE
Pour les chercheurs, le mode de rétribution des médecins est au coeur du problème. « La rémunération à l’acte, ça devrait nous en donner plus pour notre argent, souligne Damien Contandriopoulos. Mais, quand on regarde 2006 à 2015, clairement, ça n’a pas livré la marchandise. »
Ce dernier ne va pas jusqu’à dire que le paiement à l’acte nuit à la productivité des médecins. « Mais si ç’a un effet sur la productivité, il est clairement beaucoup trop modeste », dit-il.
Au contraire, la hausse des sommes accordées aux médecins peut avoir eu un effet pervers sur leur productivité. « Dans un système où on est payé à l’acte et où on augmente beaucoup la valeur des actes, c’est sûr qu’on peut se permettre de travailler moins et de gagner plus », souligne Damien Contandriopoulos.
De plus, la nouvelle génération de médecins valorise plus la conciliation travail-famille, ce qui peut également avoir un impact sur la prestation de services.
SALARIAT
Pour Damien Contandriopoulos, les médecins qui oeuvrent principalement dans un seul établissement devraient être des salariés. « On n’est pas obligés d’appeler ça salariat, dit-il. Ça pourrait être des blocs de temps : pour chaque bloc de trois heures et demie travaillé, le médecin reçoit une rémunération. » Dans le cas du travail en clinique, le paiement à l’acte demeure nécessaire puisqu’aucun gestionnaire n’est présent pour s’assurer que le médecin est présent durant les heures rémunérées.
Et à ceux qui prétendent que le salariat pourrait mener à une baisse de productivité, Damien Contandriopoulos répond : « C’est difficile de voir comment on pourrait faire pire qu’entre 2006 et 2015 avec le paiement à l’acte. »