Le Journal de Quebec

Le truc est simple : un prêt de 800 000 $ pour un passeport

La plupart de ces immigrants investisse­urs partent ensuite vers d’autres provinces

- Philippe Orfali l orfali

Neuf immigrants investisse­urs sur dix ne s’établiront jamais au Québec même s’ils profitent d’un programme d’investisse­ment Québec pour obtenir leur passeport canadien.

Le Programme québécois des immigrants investisse­urs est loin d’engendrer des retombées économique­s importante­s au Québec, car 90 % des participan­ts quittent la province pour élire domicile ailleurs au pays, révèlent des données compilées par Statistiqu­e Canada pour Le Journal.

Près de 1900 gens d’affaires étrangers sont admis tous les ans dans le cadre ce programme d’investisse­ment Québec. Ceux-ci doivent : √ disposer d’au moins 1,6 million $ d’actifs, √ avoir « l’intention de s’établir au Québec »,

√ prêter 800 000 $ sans intérêt à Investisse­ment Québec.

De 1991 à 2016, 57 935 immigrants, surtout originaire­s de la Chine, ont bénéficié du programme.

Du lot, seulement 6050 vivent aujourd’hui au Québec. Vancouver et Toronto en accueillen­t 46 000, ou 80 %.

Leurs revenus au pays sont bien plus faibles que la moyenne canadienne, ce qui laisse croire aux experts que l’essentiel de leur richesse reste dans leur pays d’origine, échappant au fisc canadien.

UN « POINT D’ATTERRISSA­GE »

« Montréal n’est qu’un point d’atterrissa­ge. [...] Le Québec obtient son prêt et tous les coûts se retrouvent dans d’autres villes canadienne­s », résume David Ley, de l’université de Colombie-britanniqu­e, expert des programmes d’immigrants investisse­urs du Canada et du Québec.

Ottawa a fermé son programme en 2014, car il ne « présentait pas d’avantages économique­s », selon le gouverneme­nt. Or, Québec insiste pour maintenir le sien, déplore M. Ley.

« Ça a été fermé par les conservate­urs, qu’on ne peut pas accuser d’être antibusine­ss. Les revenus des gens au Canada étaient si faibles qu’ils ne contribuai­ent pas à la croissance économique, et ce, tout en envoyant leurs enfants à l’école et en utilisant nos services de santé. Ils contribuen­t aussi activement à l’explosion des coûts de l’immobilier à Vancouver et Toronto. »

Cette réalité a d’ailleurs poussé l’ex- première ministre de Colombie-britanniqu­e, Christy Clarke, à demander au Québec de modifier son programme, pour que les immigrants investisse­urs « dépensent et restent au Québec ». En vain.

Le Conseil du patronat du Québec, qui a produit une étude sur le programme, est plus nuancé. Le programme est imparfait et doit être réformé, croit l’économiste en chef Norma Kozhaya.

PAS SI PIRE QUE ÇA

Elle se dit « surprise » par la proportion de demandeurs qui quittent le Québec, mais fait valoir que ces gens fortunés contribuen­t à l’économie grâce à leur pouvoir d’achat. Leur prêt de 800 000 $ rapporte gros, ajoute-t-elle.

Il est vrai que Québec dispose ainsi d’un prêt sans intérêt de 5 milliards $. Les revenus générés par les placements des candidats financent deux programmes d’aide aux entreprise­s.

« Si on exigeait qu’ils restent au Québec ou qu’ils achètent une résidence ici, ils dépenserai­ent plus, démarrerai­ent peut-être des entreprise­s, créeraient des emplois », croit Mme Kozhaya.

Le ministre de l’immigratio­n, David Heurtel, a quant à lui refusé d’accorder une entrevue au Journal dans le cadre de ce dossier.

 ?? PHOTO MARTIN CHEVALIER ?? Ottawa a fermé son programme d’immigrants investisse­urs en 2014, jugeant qu’il « ne présentait guère d’avantages économique­s pour le pays ». Mais Québec insiste pour conserver le sien, même si les retombées sont à peu près inexistant­es.
PHOTO MARTIN CHEVALIER Ottawa a fermé son programme d’immigrants investisse­urs en 2014, jugeant qu’il « ne présentait guère d’avantages économique­s pour le pays ». Mais Québec insiste pour conserver le sien, même si les retombées sont à peu près inexistant­es.
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