Le Journal de Quebec

Contrôle des armes à feu aux É.-U. : un combat inégal

- FATIMA HOUDA-PEPIN Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère fatima.houda-pepin@quebecorme­dia.com

Je suis profondéme­nt touchée par la mobilisati­on spontanée des jeunes de l’école secondaire Marjory Stoneman Douglas de Parkland, en Floride. Ils ont survécu à la tuerie du 14 février dernier qui a emporté 17 de leurs camarades et professeur­s et fait de nombreux blessés.

On parle ici de jeunes du secondaire. Loin de se laisser abattre, ils sont montés au créneau et ont affronté les élus du Congrès, le président Trump et la puissante National Rifle Associatio­n (NRA) qui finance généreusem­ent leurs campagnes électorale­s.

LE « PRINTEMPS AMÉRICAIN »

Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec le Printemps arabe. Il y a huit ans, c’était la première révolution 2.0 où Twitter et Facebook avaient servi d’outils de cybermilit­antisme.

Mais le Printemps arabe n’a pas tardé à enfanter un « hiver islamiste », car les jeunes, forts en manifestat­ions, n’avaient pas de structure organisati­onnelle capable de transforme­r les contestati­ons de la rue en solution de rechange politique. Les islamistes ont donc gagné pratiqueme­nt partout.

Les jeunes de Parkland méritent toute notre admiration, mais parviendro­nt-ils à s’inscrire dans la durée et à concrétise­r le changement qu’ils réclament ? L’histoire nous le dira. C’est David contre Goliath.

Mais pour l’heure, ils ont réussi à donner à leur mouvement un visage emblématiq­ue avec des jeunes leaders fortement médiatisés. Le magazine Time leur consacre la une de son édition du 2 avril prochain, avec un seul mot « Enough » (« Ça suffit »).

Ils sont parvenus, en très peu de temps, à mobiliser des centaines de milliers de citoyens autour de leur mouvement #Neveragain (« Plus jamais ») et attirer l’appui de plusieurs personnali­tés telles que George Clooney, Steven Spielberg, Oprah Winfrey et Paul Mccartney.

Ils ont déjà réussi à convaincre, le 9 mars dernier, le gouverneur républicai­n de la Floride, Rick Scott, de signer une loi, la « Marjory Stoneman Douglas Public Safety Act ». Mais à peine adoptée, cette loi visant à relever l’âge minimum légal pour l’achat des armes de 18 à 21 ans est déjà contestée par la NRA.

« UNE GRANDE GÉNÉRATION »

Loin de se décourager, les jeunes ont porté leur cause au plan national attirant plus d’un million de personnes, le 24 mars dernier, à Washington, et dans plus de 800 villes américaine­s.

Une gigantesqu­e manifestat­ion sous le thème #Marchforou­rlives (« Marchons pour nos vies ») dans un pays où les armes à feu font plus de 30 000 morts par année. « Nous allons être une grande génération », a déclaré Yolanda R. King, 9 ans, petite fille de Martin Luther King.

Une manifestat­ion impression­nante aussi par le niveau de politisati­on des jeunes. Non seulement exigent-ils du président Trump et des membres du Congrès de renforcer les contrôles sur les armes à feu, mais ils n’hésitent pas à dénoncer l’emprise qu’exerce sur eux le lobby de la NRA. « No NRA Money » dit l’un de leurs slogans.

Un autre jeune n’hésite pas à parler de « révolution » et interpelle les membres du Congrès : « Nous sommes le changement... Représente­z-nous ou dégagez. » On croirait entendre les jeunes à Tunis quand ils criaient à Ben Ali : « Dégage ! »

Une autre manifestan­te brandissai­t une pancarte où l’on pouvait lire « Changez la législatio­n sur les armes ou changez le Congrès », pendant qu’une autre avertit les élus « Nous voterons en 2020 [...] Notre génération veut du changement ».

Voilà, tout est dit, il reste maintenant à changer la culture de la violence aux États-unis. Ça, c’est l’oeuvre de plusieurs génération­s !

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Un jeune manifestan­t lors de la marche de samedi à Washington.

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