Mensonges budgétaires
Je ne veux pas être cynique. Mais quand on se plonge dans certains dossiers, la tentation est forte.
Prenez les infrastructures de transports. Leur santé s’est aggravée. Pour être « remises dans un état jugé au moins satisfaisant », il faudrait y consacrer 14,7 milliards $, a-t-on appris à la présentation du budget mardi.
Pourtant, à chaque foutu budget auquel j’ai assisté depuis 2005, le ou la ministre des Finances nous promet la lune.
Le cinquième budget Leitao n’a pas dérogé à la règle. On nous a annoncé des dépenses de 100 milliards sur 10 ans. Au dire de Pierre Arcand, président du Conseil du trésor, c’est « l’effort le plus ambitieux jamais déployé » par un gouvernement.
Puisqu’il contrôlerait désormais sa dette (!), le Québec serait « en mesure de planifier à moyen terme la modernisation de ses infrastructures ». Je suis sceptique.
QUINZE ANS DE PROMESSES
Car depuis 15 ans au moins, dans les discours des gouvernements, on a semblé se soucier de nos routes, écoles et hôpitaux !
Juin 2003 : Jean Charest, dans son premier discours d’ouverture, lance : « Nos infrastructures se détériorent. » Elles auraient été « victimes de l’incapacité de l’état à cibler ses actions ». Il faut donc le « réorganiser ». Notamment le MTQ...
Budget 2005-2006 : le ministre Michel Audet annonce une « nouvelle politique de maintien des actifs ». On consacrera annuellement « 2 % de la valeur de remplacement des infrastructures de santé, de services sociaux et d’éducation pour les maintenir en bon état ». Selon le ministre, il faut y voir un « virage majeur qui permettra de contrer la détérioration de nos infrastructures observée depuis une dizaine d’années ».
Budget 2007-2008, Monique Jérôme-forget remonte plus loin encore : « Depuis des décennies, les différents gouvernements […] ont négligé l’entretien », déplore-t-elle. Elle confie être « gênée » par « le degré de dégradation de nos bâtiments », mais promet de « changer cela » : « Je veux que nos routes soient comparables à celles de nos voisins. Je veux que nos infrastructures, qui sont parfois aujourd’hui source d’embarras, soient demain source de fierté. » On y consacrera donc 30 milliards en cinq ans.
C’EST LE DÉBUT D’UN TEMPS NOUVEAU...
En octobre 2007, elle dépose le projet de loi favorisant la gestion rigoureuse des infrastructures publiques. « L’époque où on assistait au dépérissement de nos infrastructures est bel et bien terminée », certifie-t-elle.
Budget 2008-2009 : Mme Jérôme-for- get dit avoir hâte que ses petits enfants soient « grands » afin qu’ils comprennent qu’elle a fait partie d’une « équipe […] qui a remis à neuf les infrastructures ».
2010-2011 : nouveau ministre, même reproche : « L’entretien a pris du retard au cours des trois dernières décennies », affirme Raymond Bachand. Il crée le « Fonds des infrastructures routières et de transport en commun », y verse la taxe sur l’essence qu’il hausse d’un sou le litre par année pendant trois ans.
Qui le félicite ? Le maire de Laval de l’époque, Gilles Vaillancourt, depuis accusé de fraude, complot et abus de confiance. Il était alors président d’une « Coalition pour le renouvellement des infrastructures du Québec », qui avait fait du lobbying auprès du gouvernement.
DEUX HYPOTHÈSES
Après ce rapide retour en arrière, deux hypothèses : a) 30 900 km de route, c’est peut-être trop d’entretien pour notre capacité financière. Or, sous Jean Charest, les prolongements se sont multipliés. Philippe Couillard aussi en promet plusieurs. Les autres partis feront sans doute de même. b) L’explosion des dépenses en infrastructures a coïncidé avec l’époque « glorieuse » du financement sectoriel des partis. En parallèle, fin des années 1990 et début 2000, le ministère des Transports perdait beaucoup d’expertise, le rendant « vulnérable aux stratagèmes de collusion et de corruption », pour reprendre les mots de la commission Charbonneau. Le gouvernement Couillard a promis de renverser la vapeur et a créé l’autorité des marchés publics. Espérons que cela aidera. Car je ne veux pas être cynique.