Le Journal de Quebec

Les élus fédéraux peuvent le craindre

Le nouveau commissair­e aux conflits d’intérêts voudrait une meilleure loi et imposer de plus grosses amendes

- BORIS PROULX

OTTAWA | La question des failles de la loi censée assurer l’éthique des élus fédéraux a encore une fois retenti à la Chambre des communes cette semaine. Les cadeaux de Noël 2016 à Justin Trudeau de l’aga Khan, un milliardai­re religieux, ont montré que les présents reçus illégaleme­nt peuvent ne jamais être déclarés. Le Journal en a discuté avec le nouveau commissair­e responsabl­e de mettre les députés au pas en matière d’éthique depuis janvier : le Québécois Mario Dion. Les élus doivent avoir peur de lui, assuret-il, parce que lui, il n’a pas peur d’eux.

Les cadeaux reçus par le premier ministre lors de sa visite chez l’aga Khan peuvent rester secrets, puisqu’ils ont été jugés « irrecevabl­es ». Est-ce un trou dans la loi ?

« UNE FOIS QU’ON A ÉTABLI QUE QUELQU’UN N’A PAS RESPECTÉ LA LOI, JE N’AI PAS DE PROBLÈMES À SÉVIR. JE N’AI PAS PEUR, PAS DU TOUT. » – Mario Dion, commissair­e à l’éthique

Oui, il existe une échappatoi­re. Mon prédécesse­ur a recommandé 75 modificati­ons à la loi, et il y a une série de choses qui peuvent être faites pour la modifier, et en voici peut-être un exemple. [ Actuelleme­nt, seuls les cadeaux reçus légalement figurent au registre public, NDLR] Je pense que personne n’a prévu cette situation en créant la loi. Ça a peut-être été fait trop rapidement.

Quels sont les autres problèmes de la loi censée garantir l’éthique ?

La loi fonctionne, mais je considère qu’il y a des détails qui pourraient être améliorés. Par exemple, au centre du dossier [des vacances de Justin Trudeau chez] l’aga Khan est le fait qu’on a le droit de recevoir un cadeau d’un ami. Mais le mot ami est très vague ! Chaque personne a sa propre définition. Peut-être qu’on devrait éliminer cette exemption. Les gens nommés à de hauts postes pourraient dire à leurs amis de laisser faire les cadeaux pendant quelques années, ce serait beaucoup plus clair. Un autre exemple : les gens élus ou nommés à de gros postes doivent vendre leurs actions ou les placer dans une fiducie sans droit de regard. Mais dans le cas de Bill Morneau [ le ministre des Finances, qui fait l’objet d’une enquête, NDLR], c’est une troisième situation qui a été soulevée. Dans son cas, il avait des actions détenues par une compagnie à numéro. C’est peut-être une chose qu’on devrait ajouter à la loi.

Justement, où en sont les enquêtes de votre prédécesse­ur, comme celle sur le ministre Bill Morneau ?

L’enquête concernant M. Morneau, au sujet du dépôt d’un projet de loi concernant les régimes de retraite au fédéral, est notre plus grosse enquête. [ L’opposition accuse le ministre de s’être enrichi grâce au projet de loi qu’il a lui-même préparé, NDLR] On vise un rapport au printemps. Le rapport sera publié dès qu’il sera prêt. Le matin où M. Morneau va apprendre l’issue de l’enquête, le public va l’apprendre au même moment. À la seconde près. On a aussi trois ou quatre autres enquêtes, qui, elles, ne sont pas du domaine public. Je ne peux pas vous en donner les détails.

Comment s’assurer de détecter tous les problèmes d’éthique au gouverneme­nt ?

Notre bureau ne surveille pas juste les ministres et les députés, mais aussi ce qu’on appelle les titulaires de charges publiques, ou les « hauts fonctionna­ires ». Il y a à peu près 3000 personnes qui sont régies par la Loi sur les conflits d’intérêts. On observe les médias, on reçoit des plaintes de députés ou de sénateurs, et on observe aussi ce que le public nous raconte. Quand on voit un article dans le journal, une situation mentionnée dans les médias, on fait une mini-enquête, c’est-à-dire qu’on va chercher, de notre propre chef, des renseignem­ents. C’est arrivé il y a quelques jours pour la situation du député de Brampton-est [ le libéral Raj Grewal aurait invité un partenaire d’affaires lors du voyage du gouverneme­nt en Inde, selon plusieurs médias, NDLR].

Les sanctions suffisent-elles ?

Nous pouvons donner des amendes de 0 à 500 $, seulement pour certaines situa- tions. Mais la vraie sanction est la honte d’avoir violé la loi. C’est un peu difficile de ne voir aucune peine administra­tive pour de graves violations. Comme dans le rapport [de Justin Trudeau et] de l’aga Khan par exemple, la commissair­e a conclu que quatre articles de la loi ont été violés, mais elle n’avait pas le pouvoir d’imposer une peine. Il y a des juridictio­ns au Canada qui imposent des amendes assez considérab­les. C’est une chose que je préconiser­ais.

Est-ce que les élus vous craignent ?

Oui, je pense que oui. Mais je suis convaincu qu’ils font de plus en plus attention. Les gens qui sont régis par la loi occupent des postes très importants. Ce ne sont pas des enfants d’école, et on est très justifié d’avoir les plus hautes attentes. Une fois qu’on a établi que quelqu’un n’a pas respecté la loi, je n’ai pas de problèmes à sévir. Je n’ai pas peur, pas du tout. Vous serez juge de ça.

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PHOTO BORIS PROULX Le nouveau commissair­e aux conflits d’intérêts et à l’éthique, Mario Dion, montre une copie de la Loi sur les conflits d’intérêts, qui constitue son document de travail.

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