Le Journal de Quebec

Ces directeurs qui rendent leurs étudiants fous

Des associatio­ns de la province dénoncent le manque d’encadremen­t à la maîtrise et au doctorat

- Dominique Scali l DSCALIJDM

Épuisement, sentiment d’être abandonnés, résultats de recherche sabotés. Partout au Québec, des étudiants de maîtrise et de doctorat se retrouvent emprisonné­s dans un climat toxique et terminent leur parcours au bord de la dépression.

« Deux années de cauchemar. » C’est ainsi que Kevin (nom fictif) décrit la période qu’il a passée à travailler sur son mémoire de maîtrise.

Pendant plus d’un an, son directeur n’était jamais disponible pour commenter son travail et l’a pratiqueme­nt laissé à lui-même ( voir autre texte).

Des étudiants terminent chaque année leurs études au bord de la détresse psychologi­que en raison du manque d’encadremen­t de leur directeur. Plusieurs sont forcés d’abandonner ou de prolonger leurs études, dénoncent quatre associatio­ns étudiantes qui préparent actuelleme­nt une étude ou un document sur le sujet.

Le Journal a parlé à cinq universita­ires qui, comme Kevin, ont préféré taire leur vrai nom par crainte de représaill­es.

« BELLE ÉPAISSEUR »

« Ton document a une belle épaisseur » est la seule rétroactio­n qu’a reçue Alicia (nom fictif) de sa directrice de thèse à propos du fruit d’un an de travail. Tout au long de son doctorat à l’université Laval, celle-ci lui a aussi fait vivre un enfer en changeant constammen­t d’idée et en rabaissant sa besogne, raconte-t-elle.

Cet hiver, dont plusieurs mois après avoir fini ses études, elle faisait encore des cauchemars reliés à cette relation malsaine qui l’a plongée en dépression.

L’encadremen­t des étudiants qui doivent passer des années à rédiger un mémoire ou une thèse est particulie­r parce qu’il repose généraleme­nt sur un seul professeur. Si la relation est mauvaise, tout le parcours en est teinté.

Par exemple, un chercheur de l’université de Montréal voulait tant que son laboratoir­e publie dans les revues scientifiq­ues qu’il entretenai­t un climat de compétitio­n en montant ses étudiants les uns contre les autres.

« Ce professeur rend tous ses étudiants fous » est une phrase qu’andrée-anne Lefebvre a entendue maintes fois dans le cadre de son rôle de représenta­nte de la Fédération des associatio­ns étudiantes du campus de l’université de Montréal (FAÉCUM).

OMERTÀ

Mais le témoignage le plus courant est celui d’étudiants aux prises avec un directeur absent ou impossible à joindre. À l’université Laval, plus de 170 personnes ont dit ne recevoir de rétroactio­n de leur directeur qu’une à deux fois par année, dans un sondage diffusé l’automne dernier.

Dans les domaines pointus où tout le monde se connaît, plusieurs craignent de dénoncer la négligence ou les abus de peur de nuire à leur carrière. D’autres redoutent de devoir recommence­r leur recherche à zéro avec un nouveau directeur.

Selon nos informatio­ns, ce silence créerait une forme d’« omertà ».

« C’EST UN TROU DE DEUX ANS VRAIMENT TRISTE DANS MA VIE » – Kevin (nom fictif)

 ?? PHOTO DOMINIQUE SCALI ?? Kevin (nom fictif), étudiant à la maîtrise à l’université de Montréal, s’est senti délaissé au point de frôler l’épuisement profession­nel. Une autre étudiante a aussi confié au Journal avoir manqué d’encadremen­t de la part du même directeur.
PHOTO DOMINIQUE SCALI Kevin (nom fictif), étudiant à la maîtrise à l’université de Montréal, s’est senti délaissé au point de frôler l’épuisement profession­nel. Une autre étudiante a aussi confié au Journal avoir manqué d’encadremen­t de la part du même directeur.
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