Ces directeurs qui rendent leurs étudiants fous
Des associations de la province dénoncent le manque d’encadrement à la maîtrise et au doctorat
Épuisement, sentiment d’être abandonnés, résultats de recherche sabotés. Partout au Québec, des étudiants de maîtrise et de doctorat se retrouvent emprisonnés dans un climat toxique et terminent leur parcours au bord de la dépression.
« Deux années de cauchemar. » C’est ainsi que Kevin (nom fictif) décrit la période qu’il a passée à travailler sur son mémoire de maîtrise.
Pendant plus d’un an, son directeur n’était jamais disponible pour commenter son travail et l’a pratiquement laissé à lui-même ( voir autre texte).
Des étudiants terminent chaque année leurs études au bord de la détresse psychologique en raison du manque d’encadrement de leur directeur. Plusieurs sont forcés d’abandonner ou de prolonger leurs études, dénoncent quatre associations étudiantes qui préparent actuellement une étude ou un document sur le sujet.
Le Journal a parlé à cinq universitaires qui, comme Kevin, ont préféré taire leur vrai nom par crainte de représailles.
« BELLE ÉPAISSEUR »
« Ton document a une belle épaisseur » est la seule rétroaction qu’a reçue Alicia (nom fictif) de sa directrice de thèse à propos du fruit d’un an de travail. Tout au long de son doctorat à l’université Laval, celle-ci lui a aussi fait vivre un enfer en changeant constamment d’idée et en rabaissant sa besogne, raconte-t-elle.
Cet hiver, dont plusieurs mois après avoir fini ses études, elle faisait encore des cauchemars reliés à cette relation malsaine qui l’a plongée en dépression.
L’encadrement des étudiants qui doivent passer des années à rédiger un mémoire ou une thèse est particulier parce qu’il repose généralement sur un seul professeur. Si la relation est mauvaise, tout le parcours en est teinté.
Par exemple, un chercheur de l’université de Montréal voulait tant que son laboratoire publie dans les revues scientifiques qu’il entretenait un climat de compétition en montant ses étudiants les uns contre les autres.
« Ce professeur rend tous ses étudiants fous » est une phrase qu’andrée-anne Lefebvre a entendue maintes fois dans le cadre de son rôle de représentante de la Fédération des associations étudiantes du campus de l’université de Montréal (FAÉCUM).
OMERTÀ
Mais le témoignage le plus courant est celui d’étudiants aux prises avec un directeur absent ou impossible à joindre. À l’université Laval, plus de 170 personnes ont dit ne recevoir de rétroaction de leur directeur qu’une à deux fois par année, dans un sondage diffusé l’automne dernier.
Dans les domaines pointus où tout le monde se connaît, plusieurs craignent de dénoncer la négligence ou les abus de peur de nuire à leur carrière. D’autres redoutent de devoir recommencer leur recherche à zéro avec un nouveau directeur.
Selon nos informations, ce silence créerait une forme d’« omertà ».
« C’EST UN TROU DE DEUX ANS VRAIMENT TRISTE DANS MA VIE » – Kevin (nom fictif)