LES ASEXUELS : UNE COMMUNAUTÉ EN FORMATION
Une fois par mois, quelques dizaines d’asexuels se rencontrent dans un café pour discuter de leur parcours. « Il y a des gens de tous les milieux et de tous âges. Un peu plus de filles que de gars, par contre. Pour les gars, ça reste plus difficile de faire son coming out. Ils ressentent encore beaucoup de pression de la société », témoigne Isabelle Stephen, qui a fondé la Communauté asexuelle de Montréal à la fin 2016.
« Quand j’ai découvert que j’étais asexuelle, j’avais besoin d’en parler, mais je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de communauté », se rappelle Isabelle, en entrevue.
Des histoires d’asexuels, il y en a autant que d’asexuels, remarque-t-elle. « Quelques-uns sont mariés depuis longtemps. Il y en a aussi qui se sont séparés récemment. D’autres ont toujours été célibataires. Certains veulent trouver l’amour, d’autres non. »
Un peu comme la bisexualité, l’asexualité forme un large spectre qui regroupe plusieurs tendances réparties sur différents axes.
LES AROMANTIQUES
Parmi les asexuels, on départage pre- mièrement les romantiques des aromantiques. Julien, par exemple, fait partie de la première catégorie. Il est HOMOromantique : il lui arrive de tomber en amour avec d’autres hommes. Il n’en demeure pas moins asexuel.
Se définir comme asexuel romantique, c’est avant tout devoir faire des compromis, indique Julien. Car ce n’est pas parce qu’on est asexuel qu’on tombe nécessairement en amour avec un autre asexuel. « Ce n’est pas facile. Moi, depuis ma dernière rupture, je me dis que tant qu’à être en couple, je vais l’être avec un autre asexuel. Parce que sinon, c’est trop compliqué à gérer. Il faut que tu acceptes que l’autre aille voir ailleurs. Tu dois aussi toujours lui rappeler que ce n’est pas de sa faute si tu n’as pas le goût. »
En général, les asexuels romantiques ont plus de difficulté à vivre avec leur orientation sexuelle. « Les aromantiques n’ont pas besoin d’être en contact avec des gens qui ne sont pas asexuels », commente Léa Serra Vandekerckhove.
Isabelle, elle, est aussi une asexuelle romantique. Polyromantique, car elle peut autant tomber sous le charme d’un homme que d’une femme. Elle les aime comme la plupart des fillettes tripent sur les chanteurs de leur boys band préféré : sans la moindre arrière-pensée sexuelle. « Moi, dans mon temps, c’était les New Kids on the Block. Je suis vieille », plaisante celle qui n’a pris conscience de son identité sexuelle qu’à l’aube de la quarantaine.
DEMISEXUELLE
Step by Step, chantent peut-être ses idoles d’enfance, mais Isabelle ne tourne pas autour du pot quand il est question de son orientation sexuelle. « C’est la première chose que je dis quand j’ai une date. Ça en éloigne plusieurs. Souvent, ils ne comprennent pas, mais ce n’est pas grave. C’est important qu’ils sachent à quoi s’attendre. »
Depuis un an, Isabelle a un chum. À l’occasion, ils ont des rapports sexuels et pour l’une des premières fois dans sa vie, elle en a vraiment envie.
Isabelle est demisexuelle. Exceptionnellement, il lui arrive d’éprouver du désir sexuel pour certaines personnes, pas nécessairement celles avec qui elle connecte émotionnellement.
« La demisexualité demeure dans le spectre de l’asexualité. Un hétérosexuel peut fantasmer sur quelqu’un du même sexe, mais il reste un hétéro- sexuel. Si un homosexuel accroche sur une personne du sexe opposé, ça reste un homosexuel. Pour les asexuels, c’est la même chose », analyse Léa Serra Vandekerckhove.
LGBT ET PLUS ENCORE
Aux demisexuels s’ajoutent les greysexuels, les cupiosexuels, les queers platoniques : autant de nouvelles étiquettes qui allongent toujours un peu plus l’interminable acronyme LGBT.
Les asexuels sont maintenant invités au traditionnel défilé de la fierté. L’an dernier, ils ont paradé entre les polyamoureux et les BDSM, deux groupes qui n’ont rien à voir avec l’asexualité, c’est le moins qu’on puisse dire. « Je n’ai jamais autant été exposé au sexe que depuis mon coming out. J’ai l’impression que j’en parle tout le temps », ironise Julien, sourire en coin.
Un moindre sacrifice, car Isabelle et lui sont déterminés à faire connaître l’asexualité au commun des sexuels, mais aussi aux asexuels eux-mêmes. « À 15, 16 ans, ma mère m’a dit que je pouvais être aux hommes ou aux femmes et que ça ne la dérangeait pas. Mais j’aurais aimé qu’elle me dise aussi que je pouvais être à rien », médite-t-elle.